Enquête

PLACE D’UNE consultation infirmiÈre DE SUIVI DE PATIENTS ATTEINTS DE MALADIE CHRONIQUE  dans les Maisons et pôles de santÉ en France Quelques ÉLÉments DE RÉFLEXION  et perspectives tirÉs d’UNE enquÊte (Septembre/2011)
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Dr Françis PELLET, Jean-Michel PICARD
Unité transversale d’éducation et de promotion de la santé du Pays des Vans. MSP/Station médicale Léopold OLLIER (Ardèche)

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Et pourtant, même s’il n’existe pas, il est important de penser au futur puisque c’est dans l’avenir que nous passerons le reste de notre vie.
A.C. CLARKE
Le 20 juillet 2019

Faut-il continuer à augmenter notre consommation de soins ? Je vous rappelle que cela doit faire 150 milliards d’euros de soins. Il est certain que la profession médicale le souhaite. Comme vous le savez s’il y a de moins en moins de médecins, cela va devenir de plus  en plus intéressant pour ceux qui vont rester ! Ou faut-il produire de la santé ? Produire de la santé c’est aller au-delà de la prévention et de la protection, c’est aller vers la promotion de la santé.
B. CASSOU[1]

Sans doute manque-t-il aux réseaux un « mythe fondateur » capable de soutenir la loyauté et l’engagement des professionnels au nom de valeurs partagées, seules à même de donner du sens aux procédures et aux dispositifs. Et cet horizon de sens ne tient-il pas à une conception du soin qui au-delà d’une approche curative individuelle, intégrerait tous les événements qui entrent en jeu chaque fois que les patients, leur famille et les différents professionnels cherchent à contrôler et affronter les maladies ?
F.-X. SCHWEYER[2]


Le médecin vit dans son petit monde, un peu en dehors de la réalité. Un médecin de MSP.

Certes nous avons découvert que finalement tout ce qui se passe dans notre être, pas seulement dans notre organisme, mais même dans la pensée, dans nos idées, dans nos décisions, peut se réduire à des tourbillons d’électrons. Mais il est évident qu’on ne peut pas expliquer la conquête de la Gaule par Jules César par les mouvements et tourbillons électroniques de son cerveau, de son corps et de ceux des légionnaires romains. Même si un démon réussissait à déterminer ces interactions physiques, il ne comprendrait rien à la conquête de la Gaule qui ne peut se comprendre qu’au niveau de l’histoire romaine et des tribus gauloises. Je dirai même qu’en terme d’échanges biochimiques, les amours de César et de Cléopâtre sont totalement inintelligibles. Donc, il est certain que l’on ne réduira pas les phénomènes anthropo-sociaux aux phénomènes biologiques, ni ceux-ci aux interactions physico-chimiques.
E. MORIN
L’épistémologie de la complexité


[1] CASSOU B. (2008) Prévenir les maladies et promouvoir la santé des personnes âgées. Gérontologie et société. N°125, juin 2008, pp.11-21.
[2] BLOY G. SCHWEYER F.-X. (sous la direction de) (2010). Singuliers généralistes. Sociologie de la médecine générale. Presses de l’EHESP, 424 pages.


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Table des matières
Remerciements
Recueil de quelques réflexions des médecins
Recueil de quelques réflexions des infirmières
Difficultés ressenties par les médecins dans les MSP et PS
Répartition géographique des structures ayant participé à l’enquête
Introduction
Définition de la consultation infirmière
Représentations de la place d’une consultation infirmière
1. Attitude des médecins vis-à-vis de la consultation infirmière, au sein des MSP et PS
2. Objectifs proposés aux médecins pour la consultation infirmière
2.1. Délégation de tâches et partage de compétences
2.2. L’éducation n’est pas obligatoirement chronophage, il s’agit avant tout d’une posture.
2.3. Et si, sans nous en rendre compte, nous contribuions à renforcer des inégalités sociales de santé (ISS) ?
2.4. Prévention, promotion de la santé, quelle différence, quel lien ?
2.5. Retentissement des consultations infirmières sur la posture relationnelle des médecins avec leurs patients.
3. Conceptions de la santé
4. Approches de la connaissance et collaboration pluridisciplinaire
5. Relation soignant-soigné
6. Prise en compte des disciplines et outils en éducation pour la santé
7. Place des diagnostics infirmiers, des interventions et résultats de soins infirmiers dans la démarche clinique
8. Émergence de nouveaux modèles. Vers une prise en compte complexe de la santé, changements de paradigmes.
8. 1. Une nouvelle approche de la santé publique
8.2. L’invention de concepts dans la théorie infirmière de R. R. PARSE.
8.3 Une consultation centrée sur les besoins de la personne et de ses proches
Ouverture en guise de conclusion
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Remerciements


Nous remercions la FFMPS et plus particulièrement son président, Pierre de HAAS, sans lequel les lignes qui suivent n’auraient pu voir le jour.

Nous remercions également les médecins et les infirmières[1] qui ont répondu très vite malgré le peu de temps qui leur était donné.

Merci à Chantal EYMARD, à Brigitte LECOINTRE et à Chantal NEVES pour le temps qu’elles ont consacré à relire le texte et pour leurs judicieuses réflexions.


[1] La profession infirmière est encore majoritairement féminine. Nous sous-entendons “infirmier/infirmière” à chaque fois que nous emploierons cette désignation.

 

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Si la médecine a très justement progressé avec Claude Bernard et dans une approche cartésienne, elle découvre sans doute du fait de sa maturité que la complexité de la personne nécessite une approche nouvelle :

-        L’écoute fait place au monologue,
-        la pluridisciplinarité remplace l’exercice singulier,
-        l’approche globale devient nécessaire.

Des professionnels de santé, médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, psychologues, pharmaciens, ont découvert que l’exercice pluriprofessionnel voire pluridisciplinaire, permettait un éclairage multifocal permettant une approche systémique de la globalité de la personne : les expériences internationales en cours montrent une plus value pour les soignants et les soignés.

Nous démontrerons, avec les équipes de soins du premier recours, que notre approche est plus performante et plus vertueuse, car plus adaptée à résoudre les problèmes complexes de santé, tout particulièrement ceux qui sont propres à la maladie chronique. Ceci répond aux préoccupations économiques de l’Etat.



Dr Francis PELLET                 
Porteur du projet MSP/PS Pays des Vans
Station médicale Léopold Ollier
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Recueil de quelques réflexions des médecins


« Les infirmières (ide) sont souvent plus proches des patients qu'elles côtoient plus longtemps et à même de soulever des problèmes non abordés par les patients (à condition que ce soient les même ide qui fassent domicile et consultation). Nombres d'actes peuvent être délégués et cela permettrait de dégager du temps médical pour le médecin. »

« C’est mieux d’avoir 2 perceptions sur un patient. Permet l’implication du médecin dans l’ETP. »

« Indispensable dans la prise en charge complexe. »

« Le patient ne nous comprend pas du premier coup. La question de l'infirmière 15 j après : qu'avez-vous retenu ? Qu'avez-vous compris ? Qu'est-ce qui vous paraît difficile ? Est essentielle à "l'efficience". »

« Permettrait de mieux cerner les besoins du patient, d'établir un projet de surveillance plus complet. »

«  Cette collaboration permettra probablement de ne jamais laisser le facteur humain disparaître derrière la complexité et la technicité du suivi d'une maladie chronique. Elle permettrait aussi de partager l'impact psychologique lié au suivi des maladies chroniques. »

« Les patients n'ont pas la même retenue qu'avec moi. Parle plus problèmes sociaux avec infirmier. Les infirmières vont plus à domicile et donnent leur analyse de l'environnement. »

« Les infirmières et les médecins n'ont pas la même approche du malade et cela est enrichissant de confronter nos pensées, décisions thérapeutiques avec elles. »

« Point de vue différent/compétences complémentaires/soins et écoute de proximité/connaissances des conditions de vie. »

« Le médecin vit dans son petit monde, un peu en dehors de la réalité. »

« Le travail infirmier se fait au domicile ce qui permet d’appréhender des réalités socio-économiques et environnementales qui échappent au cabinet. La fréquence de passage des infirmiers permet de s’adapter rapidement à des évolutions pathologiques. »

« Nouvelle dimension dans la relation médecin-malade. Enrichissement personnel, sentiment d'une meilleure efficacité. »

 

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«  [Qualité de la collaboration] en cours de progression mais la route est longue et barrée d'obstacles (représentations personnelles de la profession et du rôle des autres). »

« Indispensable dans la prise en charge complexe. »

« Nouvelle dimension dans la relation médecin - malade. Enrichissement personnel, sentiment d'une meilleure efficacité. »

« Chacun peut bénéficier de l’expertise de l’autre. »

Recueil de quelques réflexions des infirmières


«L'infirmier n'aborde pas toujours les consultations du même œil que le médecin, connaît quelques fois le patient au domicile, dans son environnement. Le patient est souvent en retrait devant le médecin. Il se livre plus facilement à l'infirmier car peut-être moins intimidé. »

« L’éducation passe avant tout par un “ état des lieux ” de ses connaissances, de ses capacités, ensuite le cheminement se fait côte à côte, selon les efforts fournis, l’intégration des données et sa capacité à les mobiliser au regard d’une situation donnée. »

« Interaction, complémentarité dans la prise en charge du patient. »

« Intéressant selon le profil du patient et le type de relation de soins instaurée ou à instaurer. »

« Il y a un travail fabuleux à faire dans de tels quartier, tant dans les échanges que les pratiques, et j'apprécie beaucoup mon travail au sein de ce quartier et de cette structure ; on avance petit à petit, les mentalités évoluent, et c'est bien car tout le monde est gagnant. »

« J’ai réalisé il y a quelques années (1992 environ) une formation de “conseillère en santé”  avec ISIS à Thonon. J’y avais découvert, entre autres, le “diagnostic infirmier” que je pratiquais comme Mr Jourdain la prose, auparavant. Ma formation en Psychologie qui a suivi, a fait le reste pour construire mes cadres de références, le mien. »
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Difficultés ressenties par les médecins dans les MSP et PS


-        Pas de rémunération du temps passé. Présence d'un tiers coordonnateur serait idéal.
-        Culture libérale/ rapport investissement sur bénéfice personnel pas toujours perçu comme favorable/outils de collaboration peu développés/peu de financements
-        Le temps ! Pas de rémunération… pérenne ? (maison de santé)
-        Rémunérations. Motivation des infirmières.
-        Diversité d'investissement de chacun. Sur 4, l'infirmière hypermotivée… et l'infirmière "y'en a marre de toutes ces réunions"
-        Le manque de temps et la bêtise humaine
-        Manque de temps
-        Le temps
-        Le temps disponible, la préoccupation économique
-        Manque de temps, lieux différents
-        Méthodologie pour la mise en place d'une action=protocole interprofessionnel
-        La nécessité d'être patient, les moyens, la gestion du temps
-        Orientation des patients vers les infirmières (abord d'une nouvelle prise en charge pas toujours bien perçue, parce que pas toujours présenté probablement. Réorganiser les données de la consult IDE dans le dossier médical
-        Manque de temps pour rencontres. Peu d'IDE motivées partageant notre vision.
-        La peur : peur de changer de mode d'exercice (de part et d'autre) peur de prendre la distance nécessaire à envisager une modélisation -  qui pourtant me paraît être un enjeu majeur - nouvelle de nos modes d'exercices.
-        Pas le temps pour se rencontrer et discuter des patients
-        Absence de cadre législatif pour les délégations de tâches par exemple

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Répartition géographique des structures ayant participé à l’enquête

 

 

 

Introduction


Le programme ASALEE (action de santé libérale en équipe) [1] a initié en 2005, à l’initiative d’un groupe de médecins des Deux-Sèvres, la mise en place de consultations infirmières en MSP, sur la base d’une délégation de santé publique à des infirmières salariées.[2] Une partie non négligeable du travail infirmier consiste en saisie informatique. Il faut mettre des alertes informatiques dans les dossiers médicaux pour rappeler aux médecins de ne pas oublier de prescrire les examens systématiques lors de leurs consultations. Le programme comporte des séances individuelles d’éducation thérapeutique.


[1] www.urps-med-ra.fr/.../ASALEE_2_sept_2010_URMLRA__Mode_de_compatibilite__1284457870786.pdf
[2] BOURGUEIL Y. Le FUR P. MOUSQUÈS J. YILMAZ E. (2008). La coopération médecins généralistes/infirmières améliore le suivi des patients diabétiques de type 2. Principaux résultats de l’expérimentation ASALEE. Questions d’économie de la Santé, n° 136, novembre 2008, 8 pages.


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Si ces consultations répondent, sur le principe, à une attente des médecins et du système de santé, il ne semble pas qu’elles aient été construites à partir des théories issues des sciences infirmières, ni sur celles de l’éducation pour la santé des patients (comme c’est le cas en Europe et en particulier en Belgique),[1] ce qui peut freiner le développement d’une santé publique centrée sur les personnes, leurs ressources et leur sentiment d’efficacité personnelle.

Pourtant par exemple, l’infirmière Florence Nightingale fut une des pionnières de la santé publique et à l’origine de l’utilisation des statistiques dans la santé dès les années 1850. Elle fut vraisemblablement à l’origine de la première conceptualisation de la discipline infirmière.[2]

Historiquement, c’est la profession infirmière qui a été la  première à reconnaître officiellement la nécessité de la prévention et de l’éducation dans la prise en charge des patients.[3] Certainement parce que les infirmier(e)s sont les professionnel(le)s qui passent le plus de temps auprès des personnes voire au sein même de leur lieu de vie en secteur libéral,[4] et parce que
--> les valeurs véhiculées au sein de la discipline infirmière sont très proches de celles de la promotion de la santé.[5]


[1] En Europe, dans la majorité des pays, contrairement au modèle français, l’ETP est incluse
dans le concept plus global d’éducation du patient in JACQUAT Denis. 2010. Education thérapeutique du patient : propositions pour une mise en œuvre rapide et pérenne, Rapport au premier ministre. En ligne http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/104000364/index.shtml
[2] SAULNIER D. (2004). Un modèle conceptuel : pourquoi ? Sur le site de l’association québécoise des classifications de soins infirmiers. www.aqcsi.org/pages/modele_conceptuel_pourquoi.pdf
[3]DECCACHE A. LAVENDHOMME E. (1989). Information et éducation du patient, des fondements aux méthodes. Édition de Boeck-Wesmael, Collection Savoirs et santé.
[4] NEVES C. (2010). Les infirmières à l’avant-garde des soins chroniques. Journée internationale des infirmières, Nice, 29 mai.
[5] O’NEILL M. Discours. Promotion de la santé : Enjeux pour l’an 2000. Canadian Journal of Nursing Research. 1997, 29 : 63-70 cité par LONGTIN M. RICHARD L.  BISAILLON A. (2006). L’intégration de la promotion de la santé au sein de la discipline infirmière. Recherche en soins infirmiers, n° 87, décembre 2006, pp. 4-15.


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Depuis de nombreuses écoles de pensée infirmière se sont développées surtout dans les pays nord-américains, et aussi en Europe.

Mais les indices d’amélioration dans le champ de la maladie chronique sont encore trop souvent tirés des seuls critères biomédicaux ce qui correspond à une approche centrée sur la maladie et non à une prise en compte de la qualité de vie des personnes malades.

Les résultats d’une éducation ne se jugent pas sur des valeurs biologiques mais sur des évolutions potentielles de comportements, des acquisitions ou des modifications de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être, mais aussi plus largement sur les réponses apportées à des quêtes de sens, à des valeurs qui sont remises en question, à des reconstructions de projets de vie.

Si l’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) contribue à une « transformation personnelle, identitaire, au terme de laquelle le sentiment de sécurité, l’acceptation de son image, le sens du contrôle, les exigences de la maladie sont intégrées dans une réconciliation de soi », les séances individuelles d’ETP permettent dans certaines situations une meilleure adaptation à la réalité de vie du patient.[1]

            Les infirmières ont développé des savoir-faire dans tous ces domaines.
Le Conseil national de l’Ordre infirmier, dans une conférence de presse en date du 8 décembre 2010, [2] a tenu à préciser la place des infirmier(e)s dans les programmes d’éducation thérapeutique des patients,[3] et a proposé d'instituer une « consultation infirmière reconnue et codifiée comme telle, exercée dans le cadre du rôle propre de l'infirmier…

Acteur central du suivi clinique et thérapeutique et de la définition des besoins de santé en  collaboration étroite avec le médecin, l’infirmier est en effet à même de jouer également un rôle majeur dans l’amélioration de l’accès aux soins, leur coordination et leur qualité. C’est le seul professionnel de santé en mesure de le faire de manière globale, au plus près de l’activité médicale mais aussi dans le cadre d’un exercice autonome…

Ces évolutions professionnelles correspondent à des standards internationaux existants et reconnus, tels que les définitions du Conseil International des Infirmières (CII) sur les pratiques avancées, les standards de pratiques des infirmières praticiennes au Québec, les standards de pratiques des ″infirmiers prescripteurs″ au Royaume-Uni, véritables ″case managers″, acteurs de l’observance et du suivi thérapeutique des patients chroniques en ambulatoire. »[4]

La réflexion est aujourd’hui très avancée puisqu’une saisine sur les consultations infirmières vient d’être déposée à la Haute Autorité de Santé (HAS), après deux années d’effort, soutenue par l’Association Nationale Française des Infirmières et Infirmiers Diplômés et Étudiants (ANFIIDE).

Une note d’analyse du centre d’analyse stratégique du gouvernement a par ailleurs été remise au premier ministre le 5 décembre 2011. [5]  Elle porte sur les coopérations entre professionnels de santé à l’horizon 2030 et va dans ce sens.


[1] HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ. (2007). Éducation thérapeutique du patient. Comment la proposer et la réaliser. Recommandations. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_601290/structuration-dun-programme-deducation-therapeutique-du-patient-dans-le-champ-des-maladies-chroniques
[2] http://www.ordre-infirmiers.fr/espace-presse/les-grands-dossiers/position-de-lordre-conçernant-les-nouveaux-roles-infirmiers.html
[3] http://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/positions/nouveaux_roles_infirmier.pdf
[4] http://www.infirmiers.com/actualites/actualites/l-ordre-infirmier-pour-une-consultation-infirmiere.html
[5] Centre d’analyse stratégique (2011).Quelles opportunités pour l’offre de soins de demain ? (volet 1). Les coopérations entre professionnels de santé. La note d’analyse. Questions sociales. Décembre 2011, n° 254.
http://www.strategie.gouv.fr/content/les-cooperations-entre-professionnels-de-sante-note-danalyse-254-decembre-2011

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Les experts proposent au-delà de créer un statut et un diplôme d’infirmier clinicien en soins primaires, d’instituer, dans quelques maisons de santé, une consultation infirmière de première ligne et de suivi des patients atteints de maladies chroniques.


Cette proposition est la plus en lien avec l’enquête que l’Unité Transversale d’Éducation et de Promotion de la Santé (UTEPS)[1] du Pays des Vans a menée en septembre 2011 auprès des maisons et pôles de santé, regroupées au sein de la Fédération française des Maisons et Pôles de Santé (FFMPS), et avec l’appui de cette dernière.

Il ne s’agit pas de démontrer ici la pertinence des nécessaires changements de paradigmes,[2] mais de poser quelques jalons pour approfondir la réflexion et faciliter l’expérimentation de ces  consultations infirmières d’éducation, de prévention et de santé publique dans un cadre pluriprofessionnel et pluridisciplinaire coordonné.


[1] L’UTEPS Pays des Vans est une émanation non encore complètement formalisée de la MSP Léopold Ollier, constituée de professionnels dans et hors les murs. Une consultation infirmière de prévention et de promotion de la santé neuro-cardiovasculaire est en place depuis avril 2011. Des ateliers éducatifs débuteront eau premier trimestre 2012. 3 programmes d’ETP, dont un centré sur les inégalités sociales de santé, sont en attente de validation par l’ARS Rhône-Alpes.
[2] Un paradigme est ce que les membres d’une communauté scientifique possèdent en commun et, réciproquement, une communauté scientifique  se compose d’hommes qui se référent au même paradigme. KÜHN T.S.  (1970-2008). La structuration des révolutions scientifiques. Champs sciences. Édition Flammarion, p. 240.

 
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Définition de la consultation infirmière


Ljiljana Jovic, compte-tenu de la croissance exponentielle des consultations introduites dans les années 1970 par les stomatothérapeutes, a proposé cette définition, dès 2002 :

Des infirmières voient des malades, adressés par un médecin en consultation dans un but précis, défini par l’objet de la consultation (soins de plaies, stomathérapie, éducation, relation d’aide,…).

Après une observation, elles formalisent les besoins du malade dans une perspective de soins infirmiers, prodiguent des soins, éduquent et fournissent des informations et des conseils dans le cadre de leur champ de compétence. [1]

Le site infirmiers.com précise :

Le profil des infirmières qui réalisent des consultations pourrait être caractérisé de la manière suivante, des professionnelles ayant : plusieurs années d’expérience clinique dans la discipline, des compétences reconnues, généralement suivi des formations relatives à leurs activités (éducation, soins …) dans le cadre de la formation continue (Diplôme d’université …), des qualités personnelles leur permettant de se positionner dans cette fonction.



Nous retiendrons la définition de l’Institut de Soins Infirmiers Supérieurs (ISIS),[2] qui forme de nombreuses infirmières dans ce domaine.

La consultation infirmière se fonde sur la réglementation de l’exercice infirmier telle qu’elle figure dans le Code de la Santé Publique :
L’infirmière reçoit en consultation des personnes (individus, famille, groupe) qui lui sont adressés ou qui requièrent spontanément son intervention, dans un but précis relevant de sa spécificité professionnelle et/ou de son domaine d’expertise (soins de plaies, stomathérapie, information, éducation, aide et soutien psychologique).

À partir des étapes du raisonnement clinique infirmier appliqué à ses champs de compétence (rôle autonome, interdépendant et dépendant), la consultation permet l’élaboration contractuelle d’un programme thérapeutique selon un processus de co-construction.


Dans les expériences étrangères, celle du Royaume Uni se rapproche de ce qui pourrait être expérimenté dès aujourd’hui dans les MSP[3] :

Au Royaume-Uni, les pratiques avancées sont la pierre angulaire de la réforme du national
health service (NHS). On les retrouve dans :

- les consultations infirmières de première ligne qui proposent un bilan et une prise en charge de problèmes de santé mineurs ou orientent le patient au sein du système de santé ;
- le suivi des maladies chroniques, né dans les cabinets de soins de santé primaire, qui correspond à une véritable réorganisation des prises en charge de ces pathologies ;
- la promotion de la santé avec « les infirmières consultantes et de conseil » qui a conduit à l’intégration totale de délégation de gestes et actions auparavant réalisés par un médecin.



[1] JOVIC L. La Consultation Infirmière à l’Hôpital, éditions ENSP, Mai 2002, page13.
[2] http://www.webisis.com/
[3] Rapport BERLAND 2011, déjà cité.


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Quelles  en sont les plus values ?

Nous rapportons les conclusions du groupement d’intérêt commun sur la consultation infirmière porté par l’ANFIIDE[1] :

« La consultation infirmière est centrée sur l’individu. C’est une démarche d’accompagnement qui s’inspire des valeurs humanistes. L’infirmière tient compte des ressources de la personne, de son autonomie et de son développement. Elle agit dans une perspective globale. La reconnaissance des compétences, de l’aptitude à l’autodétermination, l’importance qu’elle accorde à une relation de collaboration et au prendre soin (caring) guident ses interventions et lui permettent à la fois d’informer, de négocier les priorités et les responsabilités en tenant compte des valeurs, des croyances, des préférences et des priorités de chacun. 

Lorsque l’on analyse les différents retours d’expériences, la consultation infirmière permet l’adaptation des personnes à de nouvelles situations ou la résolution de problèmes difficiles, l’échange d’avis et de renseignements sur divers aspects des soins, l’amélioration de leur qualité, l’accroissement des connaissances et des habiletés. » [2]

            Plus d’information : www.anfiide.com/consultation.php


[1] Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants.
[2] Jouteau-Neves C. Malaquin-Pavan E. (2009). La consultation infirmière : un chemin d’expertise, une réalité partagée. GIC Anfiide, 28.11.09, Lyon – La consultation infirmière : enjeux et perspectives au sein de l’Anfiide


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Représentations de la place d’une consultation infirmière


Nous nous basons sur les résultats de l’enquête effectuée en septembre 2011 auprès de 22 structures, dont 18 maisons de santé pluriprofessionnelles ou pluridisciplinaires (MSP) et 4 pôles de santé, regroupant 305 professionnels d’horizon différent.

Compte-tenu de cette forme récente et encore confidentielle d’exercice entre des médecins et des infirmier(e)s et de l’actualité du sujet proposé, nous ne nous attendions pas à un nombre de réponses très important, mais nous tenions à engager le débat et la réflexion.

28 professionnels de santé (19 médecins et 9 infirmières) ont répondus à notre questionnaire au cours du mois de septembre 2011.

Si l’échantillon est faible (environ 10 %), trois éléments sont à prendre en considération :

-        Les médecins sont très sollicités pour répondre à des enquêtes ne serait-ce que par les étudiants réalisant leurs thèses de médecine,
-        un certain nombre de projets ne sont pas encore opérationnels,
-        la priorité ne porte pas encore sur la coopération professionnelle, d’autant plus qu’elle relève de l’article 51 de la loi HPST pour lesquelles un protocole doit être établi et validé par la Haute autorité de santé (HAS).

1. Attitude des médecins vis-à-vis de la consultation infirmière, au sein des MSP et PS


7 structures (32%) ont déjà mis en place des consultations infirmières ou en binôme médecin-infirmière.   7 médecins (37%) pensent que cela serait souhaitable et 6 autres (32%) que l’idée est intéressante.


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Les médecins généralistes, dont la très grande majorité qui a répondu porte les projets, sont tous favorables à cette consultation. 100 % des infirmières pensent que les consultations infirmières peuvent (pourraient) contribuer à changer la posture des médecins généralistes vis-à-vis de la collaboration au sein de la structure (ou en lien avec elle).


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2. Objectifs proposés aux médecins pour la consultation infirmière


Les médecins avaient 11 choix imposés et 1 possibilité d’ajouter d’autres objectifs. Aucun médecin n’a ajouté d’autres buts possibles à cette consultation infirmière.

Le graphique ci-dessous montre le point de vue des médecins sur le rôle des consultations infirmières.

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QV=qualité de vie ISS= inégalités sociales de santé ETP= Éducation thérapeutique du patient
 Counseling = Voir le blog de Catherine TOURETTE-TURGIS [1]


Ces réponses et le graphique appellent un certain nombre de remarques.

2.1. Délégation de tâches et partage de compétences

           
            90 % des médecins souhaitent déléguer des tâches aux infirmières.[2] Il conviendra donc de préciser ce qui est sous-entendu dans la délégation de tâches.

            84 % sont favorables à une collaboration avec les infirmières.

Si la collaboration (interdisciplinaire ?) est clairement revendiquée par les médecins, il est indispensable de clarifier ce qui relève du partage de compétences, du point de vue des médecins.



[1] http://master.educationtherapeutique.over-blog.com/article-17062176.html
[2] Ils étaient 73,5 % dans l’enquête Baromètre santé médecins généralistes 2009 que nous abordons plus loin.

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2.2. L’éducation n’est pas obligatoirement chronophage, il s’agit avant tout d’une posture.


Les médecins souhaitent clairement s’appuyer sur les infirmières pour l’ETP (94,7% des réponses).
           
L’ institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) a publié en juin 2011 les résultats d’une enquête effectué entre 2008 et 2009 auprès de 2083 médecins généralistes sur leur attitude en matière de prévention, d’information et d’éducation.[1]


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C’est l’information qui prédomine. 95,3% des généralistes informent et conseillent les patients « systématiquement » (57,6 %) ou « souvent » (37,7%). Ils ne sont par contre que 8,6% à mettre en œuvre eux-mêmes « systématiquement » des séances éducatives. Un quart des médecins (24,9%) ne le fait jamais. Ils sont 7% à orienter « systématiquement » leurs patients vers d’autres intervenants. 38,4% le font « souvent » et près de la moitié ne le fait que « parfois ». Plus de 90 % des médecins souhaiterait disposer de plus de temps pour remplir ces missions.

Les médecins généralistes estiment que la prévention fait tout à fait (57,3%) ou plutôt (38,4%) partie de leur rôle et qu’elle relève de leurs compétences, bien qu’ils déclarent que les infirmier(e)s ont un rôle à jouer (tout à fait 30,9%, plutôt 50,7%) et qu’ils seraient prêts à leur déléguer des tâches de prévention.

            Le baromètre santé médecins généralistes 2009 montre cependant que les médecins pratiquent peu l’aide au développement de compétences  psychosociales et d’auto-soins. Leur sentiment d’efficacité perçu dans ce domaine a même diminué depuis la précédente enquête en 2003, --> peut-être parce qu’aujourd’hui, paradoxalement, ils auraient une meilleure compréhension de la complexité de cette tâche. [2]
 
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Acteurs de la prévention. Baromètre santé médecins généralistes 2009.

Précédemment, plusieurs auteurs (Aulagner et coll., 2007 ; Maheux et coll., 1999 ; Hushner, 1995) avaient déjà montré que le sentiment d’efficacité des médecins généralistes est plus faible dans les domaines qui demandent une éducation conséquente (alimentation, activité physique, addictions, prévention des accidents domestiques) parce que l’investissement est trop important ou parce que l’adhésion des patients est plus difficile à obtenir.

De nombreuses études internationales évoquent certaines raisons de la perception d’un faible sentiment d’efficacité des médecins généralistes :

-        ils doutent de leurs compétences dans les domaines qui font appel à des capacités psychopédagogiques ;
-        ils sont pessimistes vis-à-vis du changement de comportements de leurs patients et ce d’autant plus quand ils n’adoptent pas eux-mêmes des modes de vie sains ;
-        ils ne se sentent pas toujours en accord avec les recommandations ou les guides de bonne pratique ;
-        ils se sentent dans une situation inconfortable, coincés entre responsabilité collective et responsabilité individuelle, entre intérêts de santé publique et intérêts personnels ;
-        ils ont peur que la qualité de leur relation avec les patients se dégrade s’ils estiment que certaines questions sont sensibles ou intrusives.[3]



[1] Gautier A. FOURNIER C. BECK F. (2011). Opinions et pratiques préventives des médecins généralistes en France. La Santé de l’Homme, n° 414, juillet - août, pp. 4-6.
[2] GAUTIER A. dir. (2011). Baromètre santé médecins généralistes 2009.  Saint-Denis : Inpes, collection Baromètres santé, 266 pages.
[3] DOUMONT D. LIBION F. (2008) Quelle est la place de l’éducation pour la santé dans les pratiques de médecine générale ?  UCL-RESO Unité d’éducation pour la Santé. Dossier technique. Réf. : 08-51, 29 pages.
 
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L’éducation est aussi vue comme chronophage par les médecins alors que le Haut conseil de santé publique (HCSP) recommande que celle-ci soit intégrée aux soins et pas seulement dans le cadre de programmes ponctuels, et qu’elle soit aussi adoptée par l’ensemble des professionnels.

« Le HCSP considère qu’une éducation thérapeutique sera véritablement intégrée aux soins lorsqu’elle présentera [entre autre] les caractéristiques suivantes :

-        être accessible à tous les patients, sans obligation d’adhérer à un programme particulier pour en bénéficier ;
-        être ancrée dans la relation soignant/soigné, faire partie intégrante des activités de tout soignant en étant adaptée au contexte de chaque soin, être fondée sur  l’écoute du patient, sur l’adoption par le soignant d’une posture éducative ;
-        être permanente, présente tout au long de la chaîne de soins, intégrée à une stratégie globale de prise en charge, régulièrement évaluée et réajustée ;
-        faire l’objet d’une coordination et d’un partage d’informations entre soignants ;
-        s’appuyer sur une évaluation partagée de la situation, entre patient et soignants, et sur des décisions concertées ; … »

Lorsque les médecins généralistes ont suivi une formation, le plus souvent brève, en éducation,  ils sont plus nombreux à la mettre en œuvre (40,0% vs 26,9%).[1]

L’équipe de Genève (A. Golay et coll.)  a rédigé récemment un article qui, prenant en compte la durée de la consultation médicale, propose des pistes qui vont dans le sens des recommandations du HCSP.[2]

2.3. Et si, sans nous en rendre compte, nous contribuions à renforcer des inégalités sociales de santé (ISS) ?


Les médecins se sentent-ils si désarmés pour intervenir sur les inégalités sociales de santé ou considèrent-ils que cela ne fait pas partie de leurs compétences, ni de celles des infirmières ?



[1] Baromètre santé 2009.
[2] LASSERRE MOUTET A. CHAMBOULEYRON M. BARTHASSAT V. LATAILLADE L. LAGGER G. GOLAY A. (2011). Éducation thérapeutique séquentielle en MG. La Revue du Praticien MG n° 869, novembre 2011.


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Ce sont pourtant les personnes aux conditions les plus inégalitaires qui sont les plus à risque d’être en mauvaise santé.

             Selon l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) « L’absence d’estime de soi ou des sentiments tels que la dévalorisation personnelle ou l’inutilité traduisent le ressenti psychologique du vécu des situations de précarité. Ces situations sont à l’origine de comportements à  risque pour la santé, d’exclusion des structures de soins et de divers problèmes de santé physique et mentale (ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Haut Comité de la santé publique, 2000; Mizrahi, 1998; Parizot, 1998; Wardle, 2003). Ces problèmes de santé peuvent devenir un frein à la réinsertion sociale et maintenir les personnes dans les situations de précarité.

            [] Il a ainsi été montré que les comportements à risque, le non-recours aux soins, les données de santé, les troubles psychologiques et la mortalité sont d’autant plus perturbés que les catégories sociales sont plus défavorisées (Galobardes, 2003; Krokstad, 2002; Mackenbach, 1996 ; Marmot, 1991 ; Osler, 2000 ; Wardle, 2003). »[1]

L’OMS,[2]précise que les déterminants sociaux des inégalités de santé sont liés, aux conditions matérielles, à la cohésion sociale, aux facteurs psychosociaux, aux comportements, aux facteurs biologiques, aux services de santé,[3] à la position sociale en termes d’éducation, de revenu, de genre, d’ethnicité, de race, au contexte socio-économique et politique, à la gouvernance, aux politiques macroéconomiques, aux politiques sociales, aux politiques de santé, ainsi qu’aux normes et aux valeurs culturelles et sociales.

Cette vision des choses interpelle car l’intérêt des MSP/PS est justement d’associer les travailleurs sociaux et médico-sociaux à la réflexion puis à l’action coordonnée, où l’infirmière d’ailleurs peut justement jouer un grand rôle.

Il faut donc savoir que les professionnels de santé peuvent, tout comme le système de soins, contribuer à augmenter les ISS soit par omission, soit par construction.

2.4. Prévention, promotion de la santé, quelle différence, quel lien ?


Si, dans notre enquête, la prévention (63,2 % des réponses) devance la promotion de la santé (57,9 %), les deux approches sont cependant mises en avant par plus de la moitié des médecins.

Cela traduit bien que les médecins généralistes tendent, en théorie, vers une approche globale de la personne.

Le Dr Jean LAPERCHE, engagé depuis de nombreuses années dans les maisons médicales belges et la promotion de la santé, a schématisé les différences entre ces deux approches (ci-dessous).[4]


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Il rappelle aussi les deux modèles de santé différenciant ces concepts et décrits par Jacques BURY  et ses collaborateurs, dès 1988 :

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Approche centrée sur la maladie
Approche centrée sur le patient et la communauté
Modèle biomédical
Modèle global
Modèle fermé
Modèle ouvert
La maladie est principalement organique
La maladie résulte de facteurs complexes, organiques, humains et sociaux
Elle affecte l'individu
Elle affecte l'individu, la famille et l'environnement (contexte social)
Elle doit être diagnostiquée et traitée
Elle demande une approche continue, de la prévention à la réadaptation, qui tienne compte des facteurs organiques, psychologiques et sociaux
Par des médecins
Par des professionnels de la santé travaillant en collaboration
Dans un système autonome centré autour d'hôpitaux dirigés par des médecins
Dans un système ouvert et interdépendant avec la communauté

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Si les médecins savent bien que les déterminants de santé jouent un rôle majeur, au-delà de la prise en compte des seuls facteurs de risque biomédicaux, ils savent aussi qu’il est nécessaire de prendre en compte les ressources des personnes et de leur environnement pour parvenir à un résultat durable et efficient. 

L’OMS (tableau ci-dessous) l’a reprécisé en 2008 dans l’espoir d’une réorientation des services de santé :
 

 


[1] LABBE E. MOULIN J.-J. GUEGUEN R. SASS C. CHATAIN C. GERBAUD L. (2007). Un indicateur de mesure de la précarité et de la « santé sociale » : le score EPICES. L’expérience des Centres d’examens de santé de l’Assurance maladie. Revue de l’IRES, n° 53, 2007-1, pp. 32-33. En ligne : http://www.ires-fr.org/images/files/Revues/R53-1.pdf
[2] MARMOT M. (2010). Closing the gap in a génération in Actes du colloque « Réduire les inégalités sociales de santé ». Lundi 11 janvier 2010. Ministère de la santé et des sports. Page 17.
[3] souligné par nous
[4] LAPERCHE J. (2007). La promotion de la santé cardio-vasculaire, mais encore ? Prévention des maladies ou promotion de la santé ? Y- a-t-il des différences ? Quelle importance en médecine générale ? Éducation Santé n°225, Médecine générale. Maladie cardio-vasculaire. Août 2007. http://www.educationsante.be/es/article.php?id=928


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La prévention ne constitue qu’une partie de la promotion de la santé. Le Pr Alain DECCACHE (1995) a montré qu’une véritable promotion de la santé n’est possible que si on prend en compte à la fois des mesures de prévention des maladies et des complications, et qu’on les associe à celles qui sont destinées à favoriser le maintien et l’amélioration de la santé.[1]

 


[1] DECCACHE A. (2005). Problématique de l’éducation en promotion de la santé. Notes de séminaire.



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Quelques déterminants influençant l’évolution d’une maladie chronique et de la santé :

-        valeurs, conduite, projets
-        culture, histoire de vie
-        habitus[1]
-        comportements (attitudes face aux risques), style de vie des individus
-        représentations de la santé, de la maladie
-        perception de l’état de santé, de la gravité, de la vulnérabilité, du bénéfice/risque
-        attention portée à la santé
-        priorisation des besoins de santé de la personne par rapport aux autres besoins fondamentaux (ou jugés comme tels)
-        production familiale de santé
-        niveau d’éducation, compétences
-        réseaux sociaux
-        lieu de vie, quartier dans lequel la personne vit
-        soutien social perçu
-        estime de soi, confiance en soi, personnalité
-        sentiment d’efficacité personnelle
-        capacités individuelles d’adaptation, de projection dans l’avenir
-        réflexivité (capacité métacognitive)
-        lieu de contrôle de la santé et de la maladie
-        intériorisation des normes médicales
-        expériences antérieures ou familiales de la maladie et du recours aux soins
-        représentation des professionnels de santé et du système de soin
-        conceptions de la santé des professionnels
-       

2.5. Retentissement des consultations infirmières sur la posture relationnelle des médecins avec leurs patients.



C’est l’occasion de rappeler que la prévention doit d’abord être une démarche, une posture, un état d’esprit, une culture, avant d’être un ensemble de techniques et de moyens d’actions.[2]


Les trois quarts des infirmières, qui ont répondu, pensent que l’attitude des médecins vis-à-vis des patients pourrait évoluer et leurs permettre, de mieux prendre en compte les difficultés des patients à suivre les recommandations et, de mieux tenir compte des facteurs motivationnels intrinsèques et extrinsèques.

Les deux tiers des infirmières pensent que ces consultations pourraient contribuer à changer les regards sur leur discipline et à améliorer la satisfaction des médecins dans la prise en charge des patients.

Seule une infirmière sur deux (56%) pense par contre que les consultations infirmières aideraient les médecins à s’impliquer eux-mêmes dans l’éducation thérapeutique.

Une infirmière ajoute que ces consultations peuvent jouer un rôle dans le changement de posture des patients et des autres professionnels : « volonté aussi de développer les soins en cabinet, -->et ainsi contribuer à ce que les personnes « prennent en main » leurs soins deviennent acteurs et non plus des « patients qui patientent » en attendant que l’infirmière arrive à la maison. Volonté de reconnaissance du travail infirmier en soins de premier recours vis-à-vis de l’hospitalier, voir des spécialistes (complémentarité de compétences). »



[1] « [...] l'habitus est le produit du travail d'inculcation et d'appropriation nécessaire pour que ces produits de l'histoire collective que sont les structures objectives (e. g. de la langue, de l'économie, etc.) parviennent à se reproduire, sous la forme de dispositions durables, dans tous les organismes (que l'on peut, si l'on veut, appeler individus) durablement soumis aux mêmes conditionnements, donc placés dans les mêmes conditions matérielles d'existences. » BOURDIEU P. (1972). Esquisse d'une théorie de la pratique, p. 282. Lu sur Wikipedia, en ligne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Habitus_(sociologie)
[2] GAGNEUX M. STROHL-MAFFESOLI H. (2003). Rapport annuel : santé, pour une politique de prévention durable. Inspection générale des affaires sociales. La Documentation française. Paris, 399 pages.

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3. Conceptions de la santé

Les propositions ne se recoupaient pas volontairement entre celles proposées aux médecins et aux infirmières.

La définition de René LERICHE «La santé c’est la vie dans le silence des organes » n’a pas recueilli d’écho des médecins (1 % des réponses) alors qu’elle doit être beaucoup plus répandu parmi les patients.



Dans la Constitution de l’OMS, adoptée en 1948, la santé est définie comme suit :
La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas  seulement en une absence de maladie ou d’invalidité.

Dans le contexte de la promotion de la santé (1986), on a considéré que la santé n’était pas un état abstrait, mais plutôt un moyen d’atteindre un but ; sur le plan fonctionnel, il s’agit d’une ressource qui permet de mener une vie productive sur les plans individuel, social et économique.

La santé est une ressource de la vie quotidienne, et non le but de la vie ; il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques.

Réf. Glossaire de la promotion de la santé.


Les deux définitions successives de l’OMS selon le regard orienté ou non vers la promotion de la santé ont montré une divergence entre les deux catégories professionnelles.

La définition de 1948 reste la référence principale (63% pour les médecins vs 56 % pour les infirmières).

Un tiers des médecins (32%), mais seulement 11% des infirmières, a choisi la définition orientée vers la promotion de la santé.

Une ouverture était possible en proposant une autre définition mais elle n’a pas été utilisée par les médecins.

Seule une infirmière a proposé une définition personnalisée : « La santé englobe la dimension psychologique, physique et sociale de l’être humain ; elle prend en compte les mots et les maux de chacun » ouvrant sur d’autres champs de réflexion.

Bien sûr la taille des échantillons ne permet pas de faire une photographie réaliste des regards sur la santé. Cela nous sert simplement à réfléchir sur les concepts sous-jacents.


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Echelle en pourcentage


De très nombreuses autres définitions de la santé sont possibles et font référence à notre conception de la santé (organiciste ou négative parce qu’elle fait référence à la maladie, santé globale ou positive, existence d’un être ouvert sur le monde, etc…).

La pensée infirmière est particulièrement riche en propositions.

Il est étonnant de voir que les infirmières ne se sentent pas attirées par le concept de la promotion de la santé (définition OMS 1986), alors qu’elles revendiquent pourtant cette posture.

Ceci étant, d’autres propositions étaient faites aux infirmières qui recueillent 44% des réponses témoignant d’un élargissement des points de vue.

Lorsqu’on s’affranchit de la définition de la santé, les infirmières attachent beaucoup d’importance à la promotion de la santé. Ceci montre que les concepts ont besoins d’être précisés

 
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(les réponses étaient codées entre 0 inutile et 5 incontournable)

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La promotion de la santé, comme nous l’avons déjà entrevu plus haut, fait référence à une approche à laquelle les médecins sont peu sensibilisés, ce qui explique le moindre intérêt pour ce concept par rapport à celui de la prévention.

Pourtant « la promotion de la santé est une compétence faisant partie intégrante de “l’excellence de la pratique médicale”. Elle donne du sens à la pratique de la médecine générale, ouvre à de nouvelles manières d’accompagner la population et pas seulement les malades, aide les médecins à rendre la personne actrice de sa santé. »[1]

L’empowerment du patient est pressenti comme un enjeu important pour une éducation visant à aider le patient à « renforcer sa capacité à agir sur les déterminants de sa santé ».[2] Il  est donc un ingrédient clé de la promotion de la santé.[3]

Il y a des différences idéologiques entre une approche biomédicale de la promotion de la santé (c’est à dire la prévention) et une approche de type “empowerment.  

C. VANDOORNE nous explique que « ces différences sont fondées sur une vision, profondément ancrée, du monde en général, de la nature de l’homme et en particulier, du libre arbitre du genre humain. Elles dépendent essentiellement des croyances sur le “locus of power” ».[4]

Nous savons que l’enseignement médical actuel n’est pas orienté pour développer un locus de contrôle[5] de santé interne chez les patients, ni leur locus of power.

La complémentarité avec l’infirmière peut trouver une de ses justifications ici car elle est en capacité d’améliorer les stratégies d’adaptation des patients.[6]

Il s’agit bien, dans ce cas précis de la promotion de la santé, d’une complémentarité avec la biomédecine.

Il en est de même pour la qualité de vie. Pour les psychologues de la santé (M. BRUSCHON-SCHWEITZER, 2002), c’est le concept, aujourd’hui à la mode, qui a supplanté toutes les notions concurrentes (bien-être, santé, satisfaction de la vie, bonheur, etc).


L'OMS a définit, en 1994, la qualité de vie comme :

« la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement. »[7]



[1] FRANK J.R. (2005). Le cadre de compétences CanMEDS 2005 pour les médecins. L’excellence des normes, des médecins et des soins. Ottawa : Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Cité par Jean LAPERCHE.
[2] DOUMONT D., AUJOULAT I. (2002). L'empowerment et l'éducation du patient. (Série de dossiers techniques; réf. 02-18). En ligne : http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/reso/documents/dos18.pdf
[3] ROOTMAN I. GOODSTAT M. POTVIN L.  SPRINGETT J. A Framework for health promotion évaluation. Ottawa : Health Canada cité par LONGTIN M. RICHARD L.  BISAILLON A. (2006). L’intégration de la promotion de la santé au sein de la discipline infirmière. Recherche en soins infirmiers, n° 87, décembre, pp. 4-15.
[4] VANDOORNE C. (2009). Problématique. Promotion de la santé, prévention, éducation pour la santé : parle-t-on de la même chose ? Éducation Santé n° 250, novembre. En ligne http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1173
[5] Le locus de contrôle est le « sentiment général que possède un individu d’être responsable de son état de santé et d’exercer sur celui-ci par ses actions et ses cognitions un certain contrôle qui lui permette à la fois de se maintenir en bonne santé et de remédier adéquatement aux divers problèmes de santé qu’il rencontre ». In Laboratoire de Pédagogie de la Santé. (2010).  Les 30 mots de l’éducation thérapeutique du patient.
[6] WALGER O. 2009). Empowerment et soutien social des personnes vivant avec un diabète : développement d’un outil clinique. Éducation du Patient et Enjeux de Santé, vol. 27, n°1, pp. 5-12
[7] Référence : Quality of Life Assessment. The WHOQOL Group, 1994. What Quality of Life? The WHOQOL Group. In: World Health Forum. WHO, Geneva, 1996.


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4. Approches de la connaissance et collaboration pluridisciplinaire


74 % de la profession infirmière pense que la collaboration entre professionnels de santé devrait être le premier sujet traité par le récent Conseil de l’ordre infirmier.[1]

La loi HPST parle de maisons de santé. Sur le site du gouvernement[2] il est question de structures de regroupement pluriprofessionnel.

Alors pourquoi a-t-on parlé de maisons de santé pluridisciplinaires ?

Il semblerait qu’il y ait une confusion de sens entre pluriprofessionnel et pluridisciplinaire.

Le site du gouvernement[3] explique : Selon le rapport "Bilan des maisons et des pôles de santé et propositions pour leur déploiement", ce sont des structures regroupant des professionnels de santé de différentes disciplines[4] (généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, ….) qui s'avèrent les plus aptes à répondre aux enjeux de la médecine de demain.

Il est fait référence à plusieurs disciplines mais les médecins, les infirmières, les kinésithérapeutes font référence à la même discipline… médicale.

La confusion entre les deux termes apparaît dans le rapport JUILHARD, cité plus haut, au chapitre 3 page 28 ou il est indifféremment évoqué un exercice pluriprofessionnel ou pluridisciplinaire.


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(les réponses étaient codées entre 0 inutile et 5 incontournable)

S’il s’agit le plus souvent de maisons ou de pôles de santé pluriprofessionnels, il n’en demeure pas moins vrai que dans la perspective  d’une approche de la santé centrée sur la personne (malade ou non), seule l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité peuvent avoir du sens. C’est d’ailleurs la position revendiquée par les experts de l’éducation.[5]



[1] Sondage effectué auprès des infirmiers libéraux, du secteur public et du secteur privé lors du salon infirmier 2011. http://www.ordre-infirmiers.fr/actualites/articles/resultats-de-la-consultation-des-infirmieres-lors-du-salon-inifmier-2011.html
[2] http://www.gouvernement.fr/gouvernement/de-nouvelles-maisons-de-sante-pour-une-nouvelle-medecine-de-premier-recours
[3] JUILHARD J.-M. CROCHEMORE G. TOUBA A. VALLANCIEN G. Le bilan des maisons et pôles de sante et les propositions pour leur déploiement. www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_maison_de_sante.pdf?
[4] Souligné par nous.
[5] DECCACHE A. Déjà cité, page 27 : « Il en ressort que l’approche la plus interdisciplinaire, dont les positions de l’OMS sont le reflet, offre le plus de proximité avec la réalité des patients et des soignants, tant pour comprendre que pour agir sur les modes de vie, d’adaptation, et sur les comportements d’auto-soins. »


 
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La pluridisciplinarité consiste à traiter une question en juxtaposant  les apports de diverses approches disciplinaires différentes : physiologique, pathologique, psychologique, sociologique en fonction d’une finalité convenue entre les partenaires de la démarche.[1]

Les infirmières ont dans leur cursus une ouverture sur les disciplines issues de domaines non médicaux (sciences humaines et sociales) et, lorsqu’elles sont dans leur rôle propre, il est évidemment possible de parler de collaboration pluridisciplinaire avec les médecins.

Ceci explique que les infirmières sont moins en attente de cette collaboration pluridisciplinaire (3,6/5) que les médecins (4,2/5), d’autant qu’elles sont plutôt dans une approche interdisciplinaire, comme cela est exprimé plus haut sur le graphique, même si cela n’est pas toujours formalisé.

Cette situation est à mettre en rapport, pour les médecins, avec des études encore trop souvent centrées sur la seule discipline médicale.

            Certains éducateurs préfèrent employer le terme d’interprofessionnalité à celui d’interdisciplinarité, dans le champ de l’éducation thérapeutique, puisque l’ensemble de l’équipe doit partager les mêmes valeurs.[2]

Selon eux, l’interprofessionnalité est une nouvelle entité issue des interactions dynamiques engendrées par la collaboration et/ou la coopération professionnelle, qui transcende les démarches des différentes professions et participe à une rupture philosophique (changement de paradigme) et conduit à une culture systémique dans laquelle aucune profession n’est propriétaire des nouvelles formalisations et modalités.

Mais nous rejoignons Rege COLET, qui précise la différence entre discipline et profession :

« Les disciplines évoluent autour de connaissances et de savoirs scientifiques alors que les professions exploitent ces savoirs pour en déduire des compétences et attitudes. »[3]

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(les réponses étaient codées entre 0 inutile et 5 incontournable)

Nous avons déjà entrevu plus haut avec Patrick PAUL le concept de transdisciplinarité, si important dans l’approche de la complexité.


[1] FORMARIER M. Déjà cité.
[2] Laboratoire de Pédagogie de la Santé. (2010). Déjà cité.
[3] Citée par Monique FORMARIER (2009), page 194. Voir bibliographie en annexe.



 
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La transdisciplinarité décloisonne les disciplines et s’intéresse à ce qui se trouve entre, à travers et au-delà des disciplines.

Pour Monique FORMARIER, « la transdisciplinarité concerne le transfert d’un champ disciplinaire à un autre, de concepts, de modèles théoriques, de démarches, d’outils, de compétences ; Exemple : le raisonnement et la démarche clinique sont transdisciplinaires. Ils peuvent être exercés par des médecins, des diététiciens, des kinésithérapeutes, des psychologues… »

Pour des infirmières canadiennes « la transdisciplinarité est axée sur l’action, se situe en contexte, se veut inventive, éclectique et très liée aux questions de processus dans les sphères communautaires et gouvernementales, notamment. Elle témoigne d’une nouvelle relation entre science et société où le dialogue et le partage contribuent à l’élaboration de la connaissance. »
(S. PÉPIN, KÉROUAC, F. DUCHARME, 2010).

Ce concept a été inventé par le psychologue Jean PIAGET en 1970[1] et a été théorisé par Basarab NICOLESCU et Edgar MORIN.[2]  Les infirmières[3],[4] et les médecins[5] ont commencé à s’y intéresser depuis une dizaine d’années.

C’est l’introduction récente de la qualité et de la subjectivité, donc de la prise en compte de la personne et d’une santé globalisante, qui a favorisé cette posture scientifique et intellectuelle.

Seule la transdisciplinarité permet de faire face à la complexité de l’humain en interaction avec le monde,[6] et de mieux prendre en compte la qualité de vie de personnes vivant avec une incapacité ou avec une maladie chronique.

5. Relation soignant-soigné


Depuis les travaux de Michaël BALINT,[7] nous savons que la relation qui s’instaure est par elle-même thérapeutique.

Si, comme le disent le diabétologue André GRIMALDI et le docteur Pierre-Yves TRAYNARD, il s’agit d’une relation à quatre entre les moi rationnel et émotionnel du soignant et ceux du patient, il existe aussi des différences de points de vue (vraisemblablement significatives) entre les médecins et les infirmières.

La question posée faisait référence aux modèles sous-jacents à l’ETP tels que décrits par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) et UCL-RESO (Bruxelles).[8] 

Si en théorie tous les programmes visent à « augmenter l’autonomie des patients » on peut distinguer 3 modèles :

-        Autonomie dans l’observance thérapeutique
-        Négociation partagée, alliance thérapeutique
-        Habilitation dans les décisions de santé (empowerment)

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(Echelle en pourcentage)

Les infirmières, comme on pouvait s’y attendre laissent plus de place à l’autonomie des patients.

[1] BOURGUIGNON A.  (1997).
[2] http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/bulletin/b12/b12c1.htm
[3] Van MANEN M. (2001). Trandisciplinarity and the New Production of Knowledge. Qualitative Health Research, 11(6), pp. 850-852.
[4] De VILLERMAY D. (2004).
[5] PAUL P. (2005).  Le concept de « santé globale », entre approches formelles et informelles dans la transdisciplinarité. Participation au Second Congrès Mondial de la Transdisciplinarité, Vitoria, Brésil, 6-12 septembre 2005. http://www.educationdupatient.be/cep/pages/epes/EPES_2007_3.htm
[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Transdisciplinarité
[7] http://www.balint-smb-france.org/



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Le médecin préfère garder le contrôle bien qu’il y ait un risque de manipulation, car si on en croit la philosophe Hannah Arendt on ne pourrait pas éduquer un adulte autrement,[1] et il y a des techniques  pour y parvenir.[2] 

Le même problème s’est posé lorsque les psychologues de la santé ont introduit la notion de qualité de vie, ou lorsque les premières associations de patients se sont constituées, ou depuis l’arrivée d’internet.

Les médecins ont eu du mal à lâcher prise, au moins au départ…

Les infirmières, qui ont répondu au questionnaire, avaient le choix de 3 modèles de santé, pour conceptualiser leurs interventions en éducation, croisés avec 3 possibilités d’éducation tels que les a modélisé Chantal EYMARD.[3]

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0 : jamais, 1 : parfois, 2 : souvent 3 : principalement


[1] L’éthique dans la pratique et la recherche sera le thème des prochaines journées de la société européenne d’éducation thérapeutique, à Bruxelles en mai 2012. http://www.socsete.org/sete/sete_fr/congres/congres.html
[2] JOULE R.-V. BEAUVOIS J.-L. (2002). Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. Édition Presses Universitaires de Grenoble, 279 pages. JOULE R.-V. BEAUVOIS J.-L. (1998, 2007). La soumission librement consentie. Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire. Édition Presses Universitaires de France, 2ème édition, 215 pages.
HUISMAN J.-P. (2009). Les clefs du changement. Éditions scientifiques L&C,125 pages.
[3] www.questionsvives.sp.educaix.com/textes/intro_qv5.pdf La synthèse est proposée en annexe.

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Les infirmières penchent le plus souvent vers une approche centrée sur l’autonomie quelque soit le modèle d’éducation retenu.

Il serait intéressant que les médecins remplissent ce même tableau, actualisé et complexifié depuis (C. EYMARD, 2010), ce qui permettrait aux soignants qui sont engagés dans l’éducation thérapeutique de s’appuyer sur des concepts explicités et référencés.[1]

Dans tous les cas, pour Chantal EYMARD, un « éducateur en santé qui est surtout préoccupé de la toute-puissance du savoir savant et de l'objectivation par la preuve privilégie une relation éducative basée sur l'instruction, l'ajustage physique, psychologique et culturel, la maîtrise de la santé des sujets et des groupes.

Les limites d’un tel modèle sont décrites par de nombreux auteurs. Il est peu performant en matière de résultats, notamment en ce qui concerne l'augmentation des complications dans les maladies chroniques et des conduites addictives. Il soumet le patient à la violence de l'expert en santé, dans un assujettissement à la norme scientifique. Le soignant, dans la toute-puissance de son désir de convertir le sujet à l'adoption de règles de “bonne santé”, nie sa singularité et son désir. »[2]

Peut-être parce que la souffrance de la maladie n’est pas seulement celle des corps et des esprits mais également celle du corps social dans son ensemble (P. BARRIER, 2010).  

Alors que la médecine contemporaine en est venue à détériorer la relation de soin,[3] penser qu’une personne atteinte d’une maladie chronique puisse avoir acquis en cheminant une certaine expertise non pas  tant dans la gestion de sa maladie que dans la construction de nouvelles normes (G. CANGUILHEM, 2009), nécessite un saut paradigmatique non négligeable mais indispensable.

La maladie de longue durée ne se gère pas comme la maladie aigüe, ce que les médecins généralistes savent d’ailleurs très bien, et nécessite d’autres manières de faire (J.-P. ASSAL, 1996).

Interrogées sur l’effet des consultations infirmières sur la posture des médecins, les ¾ de ces professionnelles (78%) pensent que le médecin peut être amené à mieux comprendre les difficultés des patients pour changer d’habitudes de vie en prenant conscience des effets de l’environnement sur les comportements.

Les deux tiers des infirmières pensent que les médecins pourraient être amenés à prescrire ces consultations, par contre seule la moitié (56%) pense que les médecins s’impliqueront dans les programmes d’ETP.

6. Prise en compte des disciplines et outils en éducation pour la santé


Si les sciences de l’éducation n’ont pas été prises en compte, dans le graphique ci-dessous, c’est parce que la question posée était orientée vers les disciplines qui pouvaient améliorer la compréhension des conduites et des comportements.

Les différences les plus importantes portent sur la place de la spiritualité, domaine pour lequel les infirmières sont plus ouvertes,[4] vraisemblablement du fait de leur proximité avec les personnes et la fin de vie.

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L’écart est également important sur la place des réseaux sociaux, des forums et des sites collaboratifs.

On connaît la prudence des médecins vis-à-vis de cet outil et parfois l’agacement vis-à-vis de patients qui savent (ou pensent savoir) plus de choses que leur médecin… 

(les réponses étaient codées entre 0 inutile et 5 incontournable)

C’est méconnaître, là encore, les changements de paradigmes, qui s’opèrent dans la société et, qui nous projettent dans une autre dimension de la connaissance, ce que le Dr Dominique DUPAGNE, dont le forum internet, est très fréquenté par les patients, appelle la médecine 2.0.

Il faut regarder la passionnante présentation qu’il a faite à l’EHESS – Centre Edgar Morin Trandisciplinarité, en février 2010 et qui traite des nouveaux équilibres en train de se constituer dans la santé. Il parle aujourd’hui de web neuronal plutôt que de web 2.0.

Un des médecins a mis un commentaire sur l’apport du web 2.0 : « Tout apport nouveau, amené par quelqu’un de convaincu est un plus. Il s'agit effectivement d'élever le débat, au delà du médico-technique, au niveau du sens. »


MÉDECINE 2.0 Atoute.org http://www.atoute.org/n/rubrique28.html
Le site est régulièrement mis à jour sur ce thème depuis 2007.

La Médecine 2.0 (tout comme le concept apparenté de eSanté) représente le champ de possibles que les médias numériques ont ouvert pour la médecine contemporaine. Les patients directement e-connectés élaborent un nouveau système de connaissance parallèle et pas toujours superposable à celui de la médecine ; ils ne sont plus de simples consommateurs passifs d'informations.

La médecine des cabinets et des hôpitaux doit de plus en plus prendre en compte la médecine des blogs, des forums de discussion, des wikis, et des communautés de patients.

La Médecine 2.0 entraîne par ailleurs une nouvelle approche heuristique qui annonce peut-être la naissance d’une médecine complexe.


Les infirmières seraient donc globalement et intuitivement plus en phase avec l’évolution de la société et dans une attitude plus ouverte sur la complexité
--> Lorsqu’on interroge les infirmières sur l’intérêt qu’elles portent aux concepts qui se rattachent à la complexité (bricolage, approche systémique, modèles théoriques) elles renvoient une appréciation moyenne de l’importance de la conceptualisation de leurs actions. 
 
-->
Il faut reconnaître que l’infirmière française produit un travail artisanal plutôt que normalisé, adapté au système de santé dans lequel elle se trouve et avec lequel elle doit interagir. 

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Pour Charlaine DURAND « La culture française connue pour sa capacité imaginative à trouver des solutions inédites face aux problèmes complexes, donne à l’infirmière le génie de résoudre par exemple, des problèmes de tuyaux qui ne sont pas prévus pour se joindre… » [5]

Nous devons nous interroger sur la place de la formation de l’ensemble des professionnels dans l’acquisition de nouveaux concepts et dans quelle mesure ils sont indispensables pour passer de la générosité des intentions et de l’improvisation des actions, comme le dit Philippe MERIEU à propos de la pédagogie, à une amélioration des pratiques (F. RAYNAL, A. RIEUNIER, 2010).

Les recommandations pour pratiquer l’éducation thérapeutique ont été ramenées à 40 heures plus dans un souci de disponibilité des professionnels que par une démarche d’acquisition de compétences et de connaissances approfondies pour atteindre un niveau d’expertise.[6]




[1] Eymard C.  (2010). Des modèles de l’éducation et de la santé à l’activité d’éducation thérapeutique. L’éducation thérapeutique en France : pratiques, modèles, évaluations in Foucaud J., Balcou-Debussche M., Bury J., Eymard C. (sous la dir.) Éducation thérapeutique du patient : modèles, pratiques et évaluation. Saint-Denis : INPES, coll. Santé en action, pp. 39-53.
[2] EYMARD C. (2006). Formation par la recherche et relation éducative en santé. Pédagogie Médicale 2006 ;7 pp. 155-164.
[3] MANTZ J.-M. WATTEL F. Importance de la communication dans la relation soignant-soigné. Rapport d’un groupe de travail de la Commission XV (Éthique et Responsabilité Professionnelle). www.academie-medecine.fr/Upload/.../rapports_287_fichier_lie.rtf
[4] Voir par exemple cet article d’une infirmière canadienne : PEPIN J. (2001). La réappropriation de la dimension spirituelle en sciences infirmières. Théologiques, vol. 9, n° 2, pp. 33-46. http://id.erudit.org/iderudit/007294ar
[5] DURAND C. (2003). Démarche de soins et raisonnement diagnostic : Les algorithmes professionnels infirmiers. http://www.cadredesante.com/spip/spip.php?article145
[6] INPES. Élaboration d’un référentiel de compétences en éducation thérapeutique du patient. Le référentiel des praticiens. 1er Août 2011, page 36. Les auteurs distinguent 3 niveaux de compétences.  www.inpes.sante.fr/referentiel-competences.../referentiel-praticien.pdf

 

Les 4 infirmières (45%°) qui sont formées à l’ETP et qui ont répondu ont fait entre 65 h
et 100 heures de formation.


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Lorsqu’on interroge les infirmières sur leur approche éducative en se basant sur les 3 centres référents à l’OMS et précurseurs en éducation thérapeutique :

-        centrée sur la pédagogie (École de Bobigny, France)[1]
-        psycho-pédagogique (École de Genève, Suisse)[2]
-        santé publique (École de Bruxelles, Belgique)[3]

ces dernières s’orientent préférentiellement vers la prise en compte des facteurs psychologiques, ce qui est en accord avec leur formation initiale ou leur parcours.

            Par contre, leur moindre attrait pour une éducation dans une perspective de santé publique les éloigne à nouveau de la promotion de la santé.

Nous rapportons la position du SIDIIEF (secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone)[4] sur la place de l’infirmière dans la santé publique :

« Bien ancrées dans la tradition et les priorités d’action de l’infirmière, la promotion de la santé et la prévention de la maladie s’harmonisent aux interventions à caractère individuel. Mieux comprendre l’impact des inégalités sociales sur la santé et agir au niveau systémique est au centre des stratégies de résolution de problématiques complexes dans une perspective de santé populationnelle. Favorisant les collaborations interprofessionnelles, l’approche écologique d’intervention en promotion de la santé vise l’action à l’échelle systémique pour améliorer les milieux de vie et les politiques publiques. »

Si l’éducation thérapeutique des patients (ETP) est une ressource pour la prévention, « vouloir rester dans un système biomédical dans le champ de l ‘éducation thérapeutique est un contresens, parce que le sujet n’y a pas sa place. » (P. PAUL, 2008).[5]



[1] Laboratoire de Pédagogie des sciences de la santé. Paris XIII.
[2] Service d’Enseignement Thérapeutique pour Malades Chroniques. HUG Genève.
[3] Unité d’éducation pour la santé UCL-RESO. Université catholique de Louvain.
[4] SIDIIEF (2011). La formation universitaire des infirmières et infirmiers. Une réponse aux défis des systèmes de santé. Mémoire adopté par le conseil d’administration du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone le 26 mai 2011, page 34. http://www.sidiief.org/Accueil/7_0_Publications/7_1_PublicationsSIDIIEF/7_1_10_Memoire2011.aspx
[5] Communication à la XVIème journée de l'IPCEM - Paris, 25 novembre 2008. http://www.ipcem.org/


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Le soignant « souhaiterait pouvoir se représenter [le patient]  comme un être rationnel voulant son propre bien et prêt à tout pour l’atteindre. » (P. LECORPS), B. PATURET, 1999).

Mais un patient, qui souffre d’une maladie chronique, est un sujet qui a sa propre vison de « sa » maladie (illness), qui veut mettre du sens à ce qui lui arrive, et dont il faut accepter qu’il ne peut être totalement raisonnable. 

La tâche pour le soignant, devient alors complexe et nécessite de l’aborder avec la pensée (l’épistémologie) et les outils (les paradigmes) adéquats pour ne pas risquer de tomber dans l’eugénisme médical.

L’approche analytique, hypothético-déductive, issue de la pensée de Descartes, traditionnellement utilisée dans le domaine biomédical, est une méthode qui ne peut s’appliquer qu’à des machines artificielles, ou à des organes.

Lorsqu’on introduit le Sujet, le Vivant, pour reprendre le terme de Patrick PAUL,  la certitude biomédicale devient incertitude, complexité et contradictions, dans une nouvelle épistémologie au croisement des disciplines et de l’ontologie.

Si la santé n’est pas seulement l’absence de maladie ni un état mais aussi une ressource, elle se situe alors dans un « entre-deux ». Elle se place, dans une perspective dialogique,[1] entre normalité et authenticité d’un sujet qui oscille, entre un état de santé biomédical et une dynamique vitale auto-régulée par laquelle il fait face à ce qui le déséquilibre en se réajustant (P. PAUL, 2005).

De même qu’il est indispensable, comme nous l’avons montré précédemment, d’associer prévention, amélioration des capacités personnelles et des ressources collectives pour parler de promotion de la santé, ce serait aussi réducteur et un contresens que de vouloir dissocier l’éducation pour la santé qui aide au développement de capacités pour faire face, de l’éducation thérapeutique.

            Le mot « éducation » est un terme polysémique. Selon le sens que nous donnons à ce terme, l’éducation des patients  peut prendre différentes formes.

Éducation centré sur l’autonomie                                                    Éducation centrée sur l’autonomie
dans l’observance des traitements                                                            dans les décisions de santé
(autogestion de la maladie)                                                                        d’un sujet ouvert sur le monde

ß========================== Î =======================à

La question est de savoir dans quelle perspective nous nous situons, quelle idéologie nous adoptons mais aussi de reconnaître que l’autonomie est une vision plus idéaliste que ce que nous observons des comportements des personnes qui en fait ne souhaitent pas toujours être autonomes dans les décisions de santé (J. BURY, 1988).

Il est évident que la définition des méthodes et des objectifs, l’évaluation des résultats de l’éducation sera différente, selon la position du curseur.

            L’éducation thérapeutique va se centrer préférentiellement sur la pédagogie, les apprentissages, selon la pensée biomédicale dans les modèles qui tendent vers la gauche.

            L’autogestion de la maladie, dans une posture biomédicale, n’inclue pas l’idée que la maladie puisse avoir un sens (T. JANSSEN, 2008). La maladie y est vue comme une conséquence d’un  --> dérèglement biologique ou physiologique auquel il faut remédier par des améliorations de savoir faire et de savoir faire face, en prenant en compte, plus ou moins, le retentissement psychologique des conséquences des problèmes de santé.


[1] Je signalerai encore une troisième notion que j'appelle la dialogique, notion qui peut être considérée comme l'équivalent ou l'héritière de la dialectique. J'entends "dialectique" non pas à la façon réductrice dont on comprend couramment la dialectique hegelienne, à savoir comme un simple dépassement des contradictions par une synthèse, mais comme la présence nécessaire et complémentaire de processus ou d'instances antagonistes.”
E. MORIN (1997). Réforme de pensée, transdisciplinarité, réforme de l’université. Communication au Congrès International "Quelle Université pour demain ? Vers une évolution transdisciplinaire de l'Université." Locarno, Suisse, 30 avril - 2 mai 1997). En ligne : Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études transdisciplinaires n° 12 - Février 1998.
http://basarab.nicolescu.perso.sfr.fr/ciret/bulletin/b12/b12c1.htm


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Alors que pour les anthropologues « toute maladie entraîne la formulation de questions ayant trait à ses causes et encore plus à son sens : Pourquoi moi ? Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ?... Les malades édifient ainsi des théories qui tentent de rendre compte de leurs rapports à leur corps, des relations entre les organes, des sensations ressenties et des causes des souffrances qu’ils éprouvent, qu’elles soient liées à la maladie ou à son traitement. » [1]

Et que pour les théologiens chrétiens l’évolution mortelle de la maladie fera référence à un processus d’ordre spirituel « Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ; mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras. » (Livre de la Genèse 2 : 16-17).

Ces remarques nous ramènent à une définition de la santé qui postule que « L’Être humain est un tout dynamique et complexe avec des aspects biologiques, psychologiques, psycho-sociologiques et spirituels. Il est inséré dans un environnement sur lequel il agit et qui agit sur lui. Il recherche un état d’équilibre dynamique entre son corps et son esprit, entre les différentes instances de sa personnalité et entre lui-même et son environnement. » (J. BURY, 1988).[2]

Plus les éducateurs laisseront de place au Vivant, donc pour les modèles qui tendent plutôt vers la droite, plus l’éducation devra prendre en compte des processus antagonistes (par exemple, définir ses propres normes dans un système de santé normatif) et s’ouvrir à l’humanité, à la complexité, donc à la transdisciplinarité.

Nous voyons que des changements de paradigmes doivent être acceptés par les professionnels de santé, et qu’une autre culture devra émerger s’ils veulent réellement respecter le sujet.

Pour illustrer notre conception personnelle de l’éducation des patients, nous emprunterons le symbole bien connu de la pensée orientale. Cette conception met en évidence la complémentarité des antagonismes et l’obligation de les concevoir comme un tout indissociable, de la même manière que l’être humain est indivisible, sauf évidemment pour la pensée cartésienne.




[1] TAÏEB O. HEIDENREICH F. BAUBET T. MORO M.R. (2005). Donner un sens à la maladie : de l’anthropologie médicale à l’épidémiologie culturelle.  Elsevier, Médecine et maladies infectieuses n° 35, pp. 173-185. En ligne : http://www.clinique-transculturelle.org/pdf/MMI_2005.pdf
[2] Définition proposée par R. POLETTI en 1983, page 20.



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Il ne s’agit plus alors de parler seulement de changement de comportements mais aussi et, peut-être surtout, de conduite, ce qui nous disqualifie au moins partiellement en tant que professionnels de santé.

En positionnant le sujet comme conducteur de sa vie, donc comme auteur, et pas seulement acteur, l’éducation devrait cependant aider les personnes, mais aussi les professionnels de santé, à reconnaître les contradictions inhérentes à la condition humaine[1] (O. BRIXI, R. GAGNAYRE,
P. LAMOUR, 2008) mais aussi celles de la société (ex. vente de tabac / produit mortel).

7. Place des diagnostics infirmiers, des interventions et résultats de soins infirmiers dans la démarche clinique


Le décret concernant l’exercice de la profession infirmière stipule depuis 1993 que le professionnel, dans le cadre de son rôle propre, identifie les besoins de la personne, pose un diagnostic infirmier, formule des objectifs de soins, met en œuvre les actions appropriées et les évalue (art. R. 4311-3 du code de santé publique).

La classification des diagnostics infirmiers[2] est née en 1973 aux États-Unis de la prise de conscience qu’il est fondamental de nommer ce que font les infirmières pour obtenir la reconnaissance de leur activité professionnelle.

Pour engager une démarche de soins infirmiers, il est nécessaire non seulement de recueillir des données mais aussi de les regrouper et de les interpréter avant de planifier, d’exécuter un plan de soins et de l’évaluer.


Un diagnostic infirmier est un jugement clinique sur les réactions aux problèmes de santé présents ou potentiels,, ou aux processus de vie, d’un individu, d’une famille ou d’une collectivité. Le diagnostic infirmier sert de base pour choisir les interventions de soins visant l’atteinte des résultats dont l’infirmière est responsable.

Glossaire des termes utilisés par NANDA-I


C’est sur cette base qu’a été développé la classification internationale des diagnostics infirmiers de l’ANADI (Association Nord Américaine des diagnostics infirmiers / NANDA-I).

Elle couvre les diagnostics actuels, les diagnostics de risque, ceux de bien-être et de promotion de la santé.[3]

La classification des diagnostics infirmiers est disponible notamment en allemand, anglais (Etats-Unis et Angleterre), chinois, danois, espagnol, français, islandais, italien, japonais, néerlandais, norvégien et portugais.

La classification internationale des soins infirmiers (CISI / NIC) et la classification internationales des Résultats en Soins Infirmiers (CRSI / NOC) ont été développées par l’université de l’IOWA respectivement en 1992 et 1997. Elles sont aujourd’hui complémentaires de la classification ANADI / NANDA-I.


[1] Nous prendrons comme exemple le témoignage du professeur Alain DELOCHE qui, suite à sa propre intervention de chirurgie cardiaque confiait aux journalistes : « Les médecins ont un curieux regard sur leurs propres maladies. La plupart d’entre nous ne font jamais de check up. Nous nous croyons protégés par une blouse blanche magique. »
[2] Les classifications de la pratique des soins infirmiers. Mise à jour 04/2011. http://www.infirmiers.com/ressources-infirmieres/documentation/les-classifications-de-la-pratique-des-soins-infirmiers.html
[3] CARPENITO-MOYET Lynda J. (2009). 


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Ces classifications sont informatisables,[1] ce qui  devrait permettre de démontrer que les actions infirmières sont aussi efficaces et moins onéreuses que celles d’autres professionnels de santé.[2] Toute la difficulté réside dans la qualité et dans la précision du diagnostic posé.

Si nous voulons élargir la compréhension des problématiques, avoir un regard interdisciplinaire et une vision plus large de la santé des personnes atteintes de maladie chronique, il faut non seulement informatiser ces classifications infirmières mais elles devront être intégrées dans la base de données médicale.

Nous retiendrons cependant l’avertissement de Margaret Lunney du College of Staten Island (Cité universitaire de New York) : « Plus c’est complexe, moins c’est exact ».[3]

Comme pour tout outil, il ne s’agit évidemment pas de les utiliser pour appliquer des recettes, d’autant que ces classifications sont en évolution permanente, révisées et non exhaustives.

Ces taxinomies servent plutôt à structurer intelligemment le savoir infirmier pour l’orienter vers une science fondée sur des données probantes (evidence-based nursing). Toutefois, il est indispensable de s’approprier les concepts et les théories infirmières qui servent de base à leur validation.

L’ANADI (NANDA-I) revendique de devenir le moteur universel du développement et de l’utilisation d’une terminologie infirmière normalisée pour contribuer à l’amélioration des soins de santé de l ‘ensemble de la population, dans l’optique d’une pratique fondée sur des preuves.

En pratique, les infirmières françaises ont du mal à s’approprier ces classifications.[4]

Dans notre enquête,  2 infirmières sur les 9 qui ont répondu, utilisent la classification des diagnostics infirmiers.

Par contre aucune n’utilise les classifications des interventions et des résultats de soins infirmiers.

Les 7 infirmières qui n’utilisent pas la classification ANADI ne citent aucun cadre de référence pour leur démarche de soins infirmiers.

Comme le dit l’une d’entre elles, elles se sont bricolées elles-mêmes leur propre cadre de référence, comme nous l’avons évoqué plus haut.

Par définition, toute classification  comporte des limites en réduisant le nombre, la portée ou la richesse  de ces caractéristiques.

Les interventions et les classifications reposent aussi sur des postulats philosophiques actuellement très répandus où la personne est vue comme un tout  composé de la somme de ses parties, c’est à dire un être biopsychosocial et spirituel unique.

Si 4 infirmières sur les 9 s’appuient sur l’école des besoins de Virginia HENDERSON, traditionnellement enseignée dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) français, aucune ne fait référence aux 10 autres écoles de pensée infirmière qui étaient proposées.[5]

En fait, comme le souligne Camille BURGY, il a pu être démontré que, les infirmières privilégient souvent, sinon toujours, les interactions sociales et l’expérience comme sources de --> connaissances pratique mais aussi que les connaissances scientifiques ne sont pas fondamentales dans leur pratique, alors que c’est ce qui est attendu d’une profession.[6]



[1] La construction est en cours à l’AFEDI. http://www.afedi.com/
[2] Les classifications de la pratique des soins infirmiers. Déjà cité.
[3] LUNNEY M. (2011). EBN : Evidence-Based Nursing et diagnostics. Exactitude dans les dossiers électroniques de santé. 21èmes journées AFEDI.
[4] Master professionnel : Éducation, clinique et santé – spécialité : Qualité des soins. Contribution des diagnostics infirmiers, des interventions et des résultats dans le dossier de soins. http://www.infirmiers.com/votre-carriere/cadre/master-professionnel-les-diagnostics-infirmiers.html
[5] Voir le questionnaire en annexe.
[6] BURGY C. (2009). La théorie de Parse. Les facteurs favorables et défavorables à son implantation dans la pratique. Travail en vue de l’obtention du titre de Bachelor of sciences HES-SO en soins infirmiers. http://doc.rero.ch/lm.php?url=1000,41,28,20110419104242-VK/La_Th_orie_de_Parse_facteurs_favorables_et_d_favorables_son_implantation_dans_la_pratique_Burgy_09.pdf


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À titre d’illustration de l’apport de la science infirmière, le modèle opérationnel ci-dessous qui s’appuie sur l’école canadienne de l’apprentissage de la santé (Moyra Allen, 1977), a permis de construire des indicateurs de qualité au niveau d’une structure, des processus et des résultats de soins.[1]

Dans ce modèle, le regard posé sur une situation se fonde sur une position paradigmatique et philosophique qui postule que la santé d’une nation est sa ressource la plus précieuse et que les individus, les familles, les communautés aspirent à une meilleure santé et possèdent la motivation pour l’atteindre. C’est donc une approche de santé publique et de promotion de la santé.

Parce que la santé d’une personne rejaillit sur les autres membres de la famille (vision systémique), et donc qu’elle est un processus social avec des attributs interpersonnels, le but premier des soins est le maintien, le renforcement et le développement de la santé des membres de la famille.

Un apprentissage de comportements de santé ou l’activation de processus qui permettront le développement du potentiel de santé sont à la base de cette école de pensée.
 
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Cet exemple montre que la profession, par sa maîtrise des concepts infirmiers peut jouer une place prépondérante dans l’éducation pour la santé et la promotion de la santé avec des indicateurs spécifiques.


[1] GAGNON J. GRENIER R. (2004). Élaboration et validation d’indicateurs de la qualité des soins relatifs à l’empowerment dans un contexte de maladie complexe à caractère chronique. Recherche en soins infirmiers n° 76, mars 2004. En ligne (consulté le 27/10/11). http://www.bdsp.ehesp.fr/Base/299207/



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8. Émergence de nouveaux modèles. Vers une prise en compte complexe de la santé, changements de paradigmes.


Reprécisons qu’un paradigme est ce que les membres d’une communauté scientifique possèdent en commun (T. S. KÛHN, 1970). Pour les infirmières, c’est « une façon de penser et voir le monde formée d’un ensemble cohérent de caractéristiques qui ne changent guère et qui guident nos actions » (J. PEPIN, S. KÉROUAC, F. DUCHARME, 2010). La discipline infirmière en présentant de nombreux courants de pensée montre qu’elle est non seulement en effervescence mais aussi qu’elle arrive à maturité.

Les paradigmes les plus récents, nous l’avons dit, ne sont pas “supérieurs” aux précédents mais ils explicitent une nouvelle vision du monde, monde dont la connaissance, mais aussi la complexité, l’incertitude, l’inconnu qui s’y rattachent nécessairement, s’accroit très rapidement aujourd’hui. Ces paradigmes influencent notre conception des soins, donc nos pratiques.

Nous souhaitons pour terminer cette réflexion illustrer la majorité des concepts qui ont pu être soulevés au cours de cette enquête, et montrer que les infirmières sont tout à fait en capacité de consulter dans les domaines de la prévention, de l’éducation thérapeutique et de la promotion de la santé.

Pour nous aider à mieux comprendre les changements de paradigmes en cours et le rôle que jouent les infirmières face aux situations complexes nous abordons un modèle émergent en santé publique,[1] une approche de résolution des problèmes centrée sur les personnes et leur famille, et l’invention de concepts dans une théorie infirmière centrée sur la qualité de vie de la personne ouverte sur le monde.

8. 1. Une nouvelle approche de la santé publique


            La prise en compte  de la multiplicité des facteurs interagissant amène à élargir notre conception de ce qui doit être pris en compte dans la réflexion sur la santé, les comportements et les conduites des patients.

Cette modélisation proposée par des chercheurs américains en santé publique veut montrer les inter-rétroactions qui entrent en jeu dans la santé/maladie.

La maladie y est abordée ici en prenant en compte un regard non strictement biomédical de la maladie (sickness).[2]


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Les intrants, influencés par l’environnement contextuel (niveau socio-économique, éducation, histoire de la personne, voisinage, etc.), auxquels est confronté la personne (microbes, alimentation, pollution, évènements de vie, information, etc.) sont filtrés et transformés en poids (comportements, perceptions, accès aux ressources, etc.).

Les points d’équilibre sont variables d’une personne à l’autre et au cours du temps.

La répartition de l’ensemble des poids des différents plateaux de balance détermine si la personne tend vers la santé ou la maladie.

De notre point de vue, pour éviter de reporter toute la responsabilité sur la personne, les inter-rétroactions extrinsèques mériteraient d’être mieux mises en évidence car le contexte (les phénomènes anthropo-sociaux) a une influence toute aussi importante que les facteurs personnels sur la santé.

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Comme ce modèle est orienté biopsychosocial, il peut faire écho dans la pensée infirmière, à titre d’exemple, à la conception issue de l’école des effets souhaités (Callista ROYet au paradigme de l’intégration[3]
- où la personne est perçue comme un « système holiste d’adaptation ayant des mécanismes régulateurs et cognitifs ; être biopsychosocial en interaction constante avec un environnement changeant et ayant quatre modes d’adaptation “physiologique”, “concept de soi”, “fonction selon les rôles” et “interdépendance” »

[1] FLEISCHER N.L. WEBER A. M. GRUBER S. ARAMBULA K.Z. MASCARENHAS M. FRASURE J.A. WANG C. SYME S.L. (2006). Pathways to health : a Framework for health-focused research and practice. Emerging Themes in Epidemiology 2006, 3 :18. En ligne http://www.ete-online.com/content/3/1/18
[2] Pour les anthropologues (nous le prenons ici dans ce sens), le terme sickness correspond à la description de la maladie socialisée, « du fait qu'elle est abordée comme représentation sociale et charge symbolique par l'ensemble du groupe social et qu'elle sous-tend les modèles étiologiques et les comportements préventifs ou de recherche d'aide » (MassÉ R, 1995). En ligne :  www.lemedicaldelareunion.com/anthropologie medicale.doc Pour d’autres anthropologues Voir également : http://ancien.reynier.com/Anthro/Ethnomedecine/Pdf/Introduction.PDF
[3] Les écoles de pensée infirmière peuvent être regroupées selon 3 paradigmes apparus successivement : catégorisation, intégration, transformation. 


 
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- et où l’environnement est perçu comme « toutes les situations, les circonstances et les influences susceptibles d’agir sur le développement et les comportements des personnes et des groupes. » (J. PEPIN, S. KÉROUAC, F. DUCHARME, 2010).

8.2. L’invention de concepts dans la théorie infirmière de R. R. PARSE.


Il existe, nous l’avons dit, de nombreuses autres écoles de pensée infirmière qui apparaissent au fur et à mesure que les paradigmes infirmiers changent.

Dans le paradigme de la transformation, par exemple selon la théoricienne infirmière Rosemary Rizzo PARSE, la personne est vue comme un tout indivisible, plus grand et différent de la somme de ses parties (paradigme de la simultanéité [1]). Il s’oppose au paradigme de la totalité sur lequel s’appuie le modèle biopsychosocial utilisé fréquemment et notamment en éducation thérapeutique.

La théorie de Parse rejoint un courant de la psychologie de la santé, qui critiquant le modèle biopsychosocial, a cherché à intégrer la complexité des facteurs en jeu en s’intéressant non seulement aux perceptions et aux évaluations des évènements et des situations mais aussi à la construction du sens que revêt, pour le sujet, l’expérience qu’il vit.[2]

Même si nous pouvions classer les concepts issus de ce paradigme émergent de la simultanéité,[3] les interventions et les résultats de soins infirmiers nécessiteraient des postures radicalement différentes dans la façon de penser le soin par rapport à celles qui sont proposées aujourd’hui.

Mais comme le disent les diffuseurs francophones de la pensée de PARSE « la question qui se pose n’est pas de savoir si la discipline peut arriver à une pratique unique et consistante dans sa contribution professionnelle au système de santé mais d’honorer  et de reconnaître la diversité paradigmatique  des connaissances infirmières. Il est essentiel de saisir qu’une perspective paradigmatique  n’est pas supérieure à une autre. Chacune contribue au centre d’intérêt  de la discipline de manière unique au service de l’humanité. »[4]

Nous savons en fait que plusieurs paradigmes peuvent cohabiter jusqu’au jour où celui qui émerge remplace les précédents car il finit par faire consensus en apportant une vision plus compréhensible du monde. Mais quand le paradigme est trop éloigné des précédents, il peut s’agir d’une rupture, d’un insight comme disent les pédagogues.[5]

Le paradigme de la nécessaire transdiciplinarité pour aborder la complexité fait partie de ces concepts émergents. C’est ce que nous précise Edgar MORIN : Je crois que nous sommes dans une époque où nous avons un vieux paradigme, un vieux principe qui nous oblige à disjoindre, à simplifier,


[1] Le paradigme de la simultanéité  est une façon radicalement nouvelle de conceptualiser les fondements théoriques et des méthodes de recherche  et de pratique en science infirmière. Il existe un contraste tranchant entre le paradigme de la totalité et celui de la simultanéité. In DOUCET T. J. MAILLARD STRÜBY F. V. (2011). Rosemarie Rizzo Parse : L’École de Pensée de l’Humaindevenant. Édition Aquilance, page 4.
[2] FISCHER G.-N. TARQUINIO C. (2006).
[3] MAJOR F. (2008). Continuer dans les moments difficiles. http://www.bdsp.ehesp.fr/Fulltext/Info?doc=/rsi/95/23.pdf
[4] DOUCET T. J. MAILLARD STRÜBY F. V. Déjà cité, page 4.
[5]  « Terme anglais dont la meilleure traduction en français serait « intuition » (si le sens étymologique de ce dernier mot n'était recouvert par tout ce que lui a ajouté la tradition philosophique) et qui désigne le phénomène de découverte soudaine de la solution dans une situation-problème après une période plus ou moins longue de tâtonnement… Dans beaucoup de cas, il n'apparaît pas de façon brusque, mais plutôt graduellement. D'autre part, l'expérience antérieure semble jouer un rôle déterminant quant à la mise en disponibilité de la relation qui permet de résoudre le problème…
    L'insight a joué un grand rôle dans la controverse qui a opposé béhavioristes et gestaltistes relativement à la nature de l'apprentissage. L'apprentissage est-il affaire de renforcement des comportements adaptés et d'élimination des comportements inadaptés, ce qui implique un caractère progressif de l'acquisition ? Ou bien est-il affaire de restructuration du champ comportemental, auquel cas l'acquisition se fait de façon brusque et en rupture avec le comportement d'essais et erreurs qui l'a précédée ? »
RICHARD J.-F. (2007). Encyclopædia Universalis.


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à réduire, à formaliser sans pouvoir communiquer, sans pouvoir faire communiquer ce qui est disjoint et sans pouvoir concevoir des ensembles et sans pouvoir concevoir la complexité du réel. Nous sommes dans une période “entre deux mondes” ; l’un qui est en train de mourir mais qui n’est pas encore mort, et l’autre qui veut naître, mais qui n’est pas encore né. Nous sommes dans une très grande confusion… mais je crois que dans cette grande confusion il y a des mouvements différents… pour la réintroduction de la conscience dans la science.[1]

En ce qui concerne les infirmières, il faut faire surgir toujours davantage l’humain dans la science infirmière.

« Continuer dans les moments difficiles » est un des concepts issu de la perspective infirmière de l’Humaindevenant (humanbecoming) de PARSE (2003) à l’origine d’une école de pensée qui se veut être une nouvelle approche du soin et de la qualité de vie.

La définition de « Continuer dans les moments difficiles » est « persévérer au milieu de ce qui est souffrant avec les engagements et les désengagements alors qu’une nouvelle façon d’aller de l’avant est en émergence avec l’espérance des possibles. »

Ce concept nous dit son inventeur, Francine MAJOR,[2] « contribue au développement des connaissances dans la discipline infirmière et est utile pour la recherche, l’enseignement et la pratique fondée sur une perspective infirmière. »

            L’originalité de l’approche de PARSE peut rebuter[3] par l’extrême sophistication d’une pensée issue de la philosophie existentialiste, de la phénoménologie et de la pensée complexe.[4]

            Mais au fur et à mesure que les connaissances sur l’humain augmentent, il nous devient plus clair que celui-ci ne peut-être réduit à ses parties ni à la simple juxtaposition des regards disciplinaires. La compréhension traverse aujourd’hui les disciplines.

De nouvelles approches comme celle de Parse, une nouvelle pensée devront être utilisées, les théoriciennes infirmières vont déjà dans cette direction avec le paradigme de la transformation depuis… 40 ans !

8.3 Une consultation centrée sur les besoins de la personne et de ses proches


Même si cette rubrique ne figurait pas dans le questionnaire, il nous a semblé intéressant de formaliser un mode opératoire que nous utilisons en fait quasi-quotidiennement avec nos patients, de façon plus ou moins efficiente.

En pratique, le recueil de données, dans le cadre de la maladie chronique, est complexe et sans solution universelle, c’est pourquoi la méthode pour « cibler un but » proposée par Hélène LEFEBVRE cherche à répondre à l’incertitude, à ce qui est enchevêtré dans de multiples inter-rétroactions.

La maladie a des impacts multiples et interactifs  sur l’ensemble des dimensions de la vie (modes de vie, rôles sociaux, environnement), ce qui nécessite une démarche de résolution de problèmes non structurés. 

Elle a un avantage éthique indéniable car la personne (au sens large) est  le sujet du problème à résoudre.

Cette démarche est donc particulièrement intéressante en éducation du patient.
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Elle peut  même s’associer aux interventions et résultats de soins infirmiers pour étayer l’action lorsqu’elle a été priorisée et qu’elle va être mise en œuvre.


 


[1] MORIN E. LE MOIGNE J.-L. (1999), page 40.
[2] MAJOR F. A. (2008). L’invention du concept continuer dans les moments difficiles. Recherche en soins infirmiers, n°95, décembre 2008.
[3] MOREGA M.  Toute pratique doit s’interroger sur son sens. En ligne : http://cipeps.com/manuel-moraga/parutions-de-manuel-moraga/120-toute-pratique-doit-sinterroger-sur-son-sens.html
[4] En France : http://www.mcxapc.org/



 
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La démarche pour « cibler un but » s’appuie sur trois cadres de référence :
-        l’approche centrée sur la personne et son projet de vie
-        le modèle éco-systémique
-        l’approche réflexive.

Nous renvoyons à la description complète de la démarche sur le site de l’INPES. [1],[2]


[1] LEFEBVRE H. LEVERT M.-J. (2009), pp.18-35
[2] www.inpes.sante.fr/jp/cr/pdf/.../session2/PPT_LEFEBVRE_Helene.pdf


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Ouverture en guise de conclusion



L’idée de la complexité est une aventure. 
E. MORIN (1999)

L'éducation n'est pas une potion que le médecin prescrit, que l'infirmière administre et que le patient ingurgite.
L'éducation est une aventure humaine.
B. SANDRIN-BERTHON (1998)


Les consultations des infirmières cliniciennes ne se résument évidemment pas à l’éducation thérapeutique. Elles se développent dans de nombreux secteurs (oncologie, néphrologie, addictions, plaies et cicatrisation, stomathérapie, psychiatrie, nutrition, hépatites C, sida,…). Elles peuvent prendre des formes totalement différentes.

Nous nous sommes surtout centrés sur les consultations en lien avec la prévention, la santé publique, l’éducation thérapeutique et l’éducation pour la santé pour rechercher comment mieux prendre en charge, accompagner, améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques ou diminuer des facteurs de risque d’une façon éthique.

Les chercheurs ont montré qu’une coopération médecins généralistes et infirmières (expérimentation ASALEE) a du sens, même si ces dernières n’ont pas toujours le sentiment d’être reconnues dans leurs champs de compétences (gestion de données et mise en place de rappels informatiques pour les médecins généralistes…).

Les consultations d’éducation ASALEE, telles qu’elles sont rapportées par l’IRDES, laissent penser que la formation des professionnels en éducation du patient doit être renforcée. En 2008, il s’agissait essentiellement de « donner des conseils hygiéno-diététiques et relatifs à  l’observance du traitement. » [1]

Les résultats de cette coopération portent avant tout sur des critères biomédicaux et le suivi d’examens complémentaires, et non sur les résultats attendus de l’éducation[2], notamment sur les acquis cognitifs, métacognitifs, émotionnels, perceptifs, réflexifs, sur le renforcement des capacités des patients à être plus acteurs de leur santé, sur leur capacité à faire face aux changements de normes et sur leur capacité d’auto-normativité qu’imposent la maladie chronique (auto-efficacité, coping positif, résilience…).

S’agissant d’une action de santé publique, nous aimerions penser qu’elle puisse s’inscrire également dans la promotion de la santé (salutogénèse)[3]  plutôt que d’être uniquement centrée sur la prévention des complications, sans prise en compte des critères de qualité de vie personnel et de normativité de l’individu, ce qui limite le résultat sur le long terme.

Cette expérimentation ASALÉE est une innovation intéressante sur la forme en introduisant la pluridisciplinarité, mais sur le fond (l’interdisciplinarité) elle méritait d’être questionnée.

L’enquête menée auprès de 22 structures françaises regroupant plus de 300 professionnels de santé en septembre 2011 a montré que les professionnels (médecins, infirmières) sont demandeurs ou intéressés par une consultation infirmière lorsque celle-ci n’est pas encore mise en place.


[1] www.irdes.fr/Publications/Qes/Qes136.pdf
[2] DECCACHE A. (2009). Déjà cité.
[3] http://www.quint-essenz.ch/fr/topics/1249




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Aujourd’hui, l’épistémologie sous-jacente, les fondements de la discipline infirmière, les modèles et les concepts utilisés sont encore mal identifiés et en tout cas mal perçus, laissant penser que l’infirmière utilise les ressources qu’elle a pu acquérir et enrichir au fil du temps pour répondre aux exigences de sa profession (savoirs expérientiels), mais sans possibilité de les conceptualiser clairement (démarche clinique).[1]

L’infirmière française ressemble à cette ouvrière dont parle Henri LABORIT en préface de
« La nouvelle grille » et citant les « Essais » de MONTAIGNE : « Les abeilles pillotent deçà les fleurs mais elles font après le miel, qui est tout leur ; mais ce n’est plus thin, ny marjolaine : ainsi les pièces empruntées à l’autruy, il les transformera et confondra pour en faire un ouvrage tout sien… » 

Pourrait-elle, et le médecin avec elle, faire encore mieux ?

Le regroupement des professionnels est un mouvement sans retour. Il fait partie du changement des paradigmes de santé qui sont en train de naître nous laissant, nous l’avons vu tout comme les patients et les personnes que nous côtoyons, dans une grande difficulté opérationnelle.

La discipline infirmière, s’inspirant des apports des sciences humaines et sociales, s’est considérablement enrichie depuis l’école des besoins fondamentaux de Virginia Henderson.

Les apports des théoriciennes, les multiples écoles de pensée infirmière existantes, la prise en compte de la complexité contribuent à de nouvelles façons de penser la santé au fur et à mesure de l’évolution des paradigmes,  et nous autorise à dire que les infirmières doivent jouer un rôle majeur dans la maladie chronique et dans la promotion de la santé.

Conceptualiser, formaliser, expérimenter, tracer, évaluer, renforcer ses compétences, se cultiver ont l’avantage de contribuer à rendre visible cette activité auprès des financeurs mais aussi vis-à-vis des patients et des autres professionnels.

Notre expérience personnelle, montre que ces consultations répondent aux attentes de la population car elle y trouve une possibilité d’être écoutée, entendue et reconnue comme en capacité d’agir par elle-même, lorsqu’elle est accompagnée et soutenue par les professionnels.

Ces consultations et la mise en place du LMD pour les futures infirmières sont un grand pas en avant, dans la mesure où l’enseignement de ces professionnel(le)s sera en adéquation avec la pensée infirmière, ce qu’un tronc commun avec les étudiants en médecine entre autres pourrait limiter, voire au contraire élargir si l’abord devient transdisciplinaire.

En attendant la montée en puissance des professionnelles habilitées à la recherche dans la discipline infirmière, Chantal EYMARD propose la création en France de quatre laboratoires de recherche en soins infirmiers.[2]

Dans l’immédiat, il faut miser sur l’intelligence des acteurs de santé comme le rappelle Didier Tabuteau, ou Guy Vallancien qui souhaite qu’on laisse pousser de telles initiatives pour en tirer des leçons.[3]

Rappelons que l’expérimentation des  nouveaux modes de rémunération (NMR) permet aux maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et aux pôles de santé (PS) de mettre en place des programmes d’éducation thérapeutique et de nouveaux modes de collaboration.

Mais un des problèmes rencontré est lié à la structuration des programmes issue des expériences hospitalières difficilement adaptable aux soins du premier recours, notamment à cause de la disponibilité des professionnels libéraux qui exercent leur activité soit principalement au domicile --> des patients, soit dans plusieurs structures ou sur d’autres sites, mais aussi à celle des patients en activité.


[1] Il faut distinguer la démarche de soins, à laquelle sont habituées les infirmières, de la démarche clinique. Voir SAINT ETIENNE M. (2005) La démarche clinique. Éléments d’une clinique en soins. Recherche en soins infirmiers, n° 82, septembre 2005, pp. 11-15.
[2] http://www.infirmiers.com/ressources-infirmieres/documentation/entretien-avec-chantal-eymard-la-recherche-infirmiere-pour-quoi-faire.html
[3] CANASSE S. (2011). Une nouvelle figure de la coopération interprofessionnelle : l’infirmière en soins primaires. http://www.carnetsdesante.fr/Une-nouvelle-figure-de-la
 
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Il semble indispensable d’apporter de la souplesse à la méthodologie de l’ETP dans ces structures, en profitant de l’opportunité de ces consultations infirmières qui peuvent aussi s’effectuer au domicile des patients, à condition évidemment de ne rien renier aux fondements de l’éducation en santé des patients, des apports de la science infirmière et de formations approfondies.

Les recommandations prochaines de la HAS devraient apporter des précisions quant à la forme et au fond de ces consultations infirmières.

            Si elles peuvent avoir un coût important au départ, compte-tenu de leur durée (30 minutes à une heure) et de leur fréquence qui peut être rapprochée, celui-ci devrait être largement compensée à terme, par la diminution des journées d’hospitalisation et aux frais engendrés par l’éloignement des structures médicales, ce qu’il faudra évidemment démontrer dans les années à venir.

Nous pensons donc qu’au-delà de la délégation de tâches et d’un partage de compétences la complémentarité des regards du médecin et de l’infirmière va nécessairement aboutir à un binôme plus à même de prendre en compte la complexité à laquelle renvoient la question du sens, les interactions continuelles, réciproques et simultanées de celui qui, ouvert sur le monde, vit une expérience de santé.

En bref, il s’agit de réconcilier la médecine avec l’humain, de conjuguer la science biomédicale avec la science infirmière nécessairement transdisciplinaire (D. de VILLERMAY, 2004).

 L’académicien prix Goncourt et médecin Jean-Christophe RUFIN en a montré indirectement la nécessaire complémentarité dans son récent roman autobiographique :

« La médecine et l’écriture romanesque sont d’abord toutes les deux des arts du regard. Parmi les métiers contemporains, il en existe peu qui contraignent — et enseignent — à regarder les autres. Le médecin, lui est dressé à l’observation. “Observation” : c’est ainsi que s’intitule le relevé des constatations tirées de l’examen d’un patient. Comme le chasseur, le médecin épie sa proie — le malade —, note ses habitudes, ses goûts, ses craintes et ses désirs. Le romancier aussi doit avoir vu pour donner à voir. Il rend ses personnages vivants en les restituant non seulement dans leur apparence, mais dans leurs déplacements, leurs mimiques, leurs appétits. La rupture des habitudes, pour le médecin, s’appelle la maladie ; pour le romancier, elle s’appelle l’aventure, source de l’intrigue.
Reste que, cependant, le regard médical et le regard romanesque sont profondément différents. Je crois même qu’ils sont exactement opposés et, de ce fait, complémentaires.
Lorsqu’il observe, le clinicien dépouille la réalité de ses détails superflus pour en arriver à ne nommer que l’essentiel : le symptôme, le syndrome, la pathologie.
Exemple : Monsieur B. raconte que la semaine dernière, à six heures quinze, alors qu’il venait de terminer son petit déjeuner — du café au lait et une tartine beurrée — il a descendu le chien, une vieille épagneule boiteuse qu’il a recueillie après la mort de sa belle-mère. Il faisait beau, après ces trois jours de pluie. Le ciel était tout pur à l’est, du côté de la gare d’Austerlitz, mais un petit vent glacé l’a obligé à forcer le pas le long du Jardin des Plantes. Soudain, il a ressenti une douleur dans la poitrine. Était-ce bien une douleur ? Il se le demande. Il aurait dit plutôt un serrement, un poids, une de ces sensations qui viennent en général après avoir reçu un coup. Il n’a pas l’habitude de s’écouter, Monsieur B. Et de toute façon la chienne continuait de tirer pour aller renifler les bonnes odeurs du matin, au pied des platanes. Il a fait le geste de se tenir le côté et il est formel : en massant un peu le creux, sous son aisselle gauche, il a atténué la gêne. Elle se prolongeait un peu dans le haut du bras, comme s’il avait pris une mauvaise position en dormant. Quand il est rentré, il avait le vent dans le dos et ça allait mieux. Ce qui lui laisse penser que c’était sûrement un coup de froid. D’ailleurs, il tient à le mentionner, il a fait un point de pleurésie quand il était à l’armée. C’était en Algérie, dans les Aurès, et contrairement à ce qu’on croit, il fait très froid là-bas. Avec ses vingt ans et robuste comme il était alors, il s’était tout de même retrouvé à l’hôpital Bégin. Bizarre, d’ailleurs, mais maintenant qu’il y pense, il ne se souvient pas très bien de quel côté était ce point de pleurésie. En tout cas, la semaine dernière, ça se passait à gauche. Depuis, tout va bien, et si sa femme n’avait pas insisté pour qu’il consulte, il serait resté chez lui… etc., etc.
Pendant que Monsieur B. se noie ainsi dans les détails, vous triste médecin, notez seulement ceci :
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    Douleur thoracique aigue à l’effort (marche, vent froid).
    Survenue matinale.
    Irradiation dans le bras gauche.
    Spontanément régressive.
    Premier accès. Pas de récidive.
Évacués la chienne, la belle-mère, le Jardin des Plantes, le soleil du matin, l’air pur après trois jours de pluie, le massage de l’aisselle, le service militaire dans les Aurès. Monsieur B. n’existe plus. Il est devenu : “un homme de soixante  deux ans avec un tableau d’angor d’effort.” Son destin s’appelle électrocardiogramme, enzymes cardiaques, scanner thoracique avec injection, dilatation des coronaires…
Vous venez, à la fois, de lui sauver la vie et de le soustraire à l’existence des vivants. »

Les professionnels des maisons et pôles de santé ont choisi, certainement pas toujours consciemment, de s’engager dans une aventure humaine. Souhaitons qu’ils associent le regard “littéraire” de l’infirmière à celui d’une médecine basée sur les preuves, et faisons le pari que les responsables du système de santé les suivront et les appuieront.
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Jean-Michel Picard
UTEPS Pays des Vans.
Les Vans, 31 janvier 2012.



Vous pouvez télécharger les résultats de l'enquête > enquête consultation infirmière (pdf 10,7 Mo) 











 

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